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tuel ; je le rassure en mettant la chose sur le compte de la migraine. Je fais sur lui quelques expériences de localisation cérébrale qui donnent les mêmes résultats que d’ordinaire.

Je lui propose de sortir avec moi ; il reprend son individualité dès qu’il a franchi le seuil ; il m’apprend qu’il a laissé mon parapluie chez lui et qu’il le rapportera le lendemain. Le samedi, à 5 heures 1/2, je vois par la fenêtre Benoît arriver en courant, tête nue ; je vais à sa rencontre et je le trouve dans le vestibule, arrêté devant le porte-manteau, cherchant ce qu’il a pu faire de son chapeau ; il s’est aperçu, en voulant l’accrocher, qu’il ne l’avait pas. Je le rassure et lui affirme en riant que je saurai bien le retrouver. Quelques instants après, je le conduis dans le jardin qui précède la maison et je lui demande ce qu’il a fait de son chapeau ; il me raconte que son chef ne voulait pas le laisser en aller, qu’on lui avait caché son chapeau pour le retenir, mais qu’il lui semblait que j’avais besoin de lui, qu’il était parti malgré tout, et qu’il avait traversé la ville en courant pour n’être point en retard[1].

Nous rentrons, et aussitôt il se met à chercher ce que diable il a pu faire de son chapeau. Je lui répète de ne pas s’inquiéter, que je vais l’envoyer chercher. Nous montons dans ma chambre ; je lui montre les diverses phrases qu’il a écrites la veille ; il ne se souvient pas de ces changements de personnalité et s’étonne de nouveau d’être devenu aussi sensible que Benoît. J’essaye sur lui les diverses actions de la force neurique rayonnante, qui réussissent comme d’habitude.

Je constate qu’il est insensible aux pincements et aux piqûres d’épingle, mais qu’il perçoit les impressions d’un corps froid ou d’un corps chaud.

Comme la veille, il a besoin de se chauffer, et je le mène auprès de ma famille avec laquelle il cause pendant une heure le plus naturellement du monde.

J’essaye de nouveau, en plaçant ma main sur sa tête en hétéronome, de détruire la suggestion ; le seul résultat que j’obtiens, c’est de le faire penser à Benoît. Je fais passer un courant voltaïque décontracturant par la nuque[2] : la pensée de Benoît revient plus intense ; il a rencontré Benoît dans la journée, il lui a parlé. Je lui dis que j’espérais obtenir ainsi un

  1. Son chef m’a appris le lendemain qu’en voyant Benoît si pressé de partir, quoiqu’il n’eut pas terminé un travail dont il était chargé, il s’était douté d’une suggestion et qu’il avait employé tous les moyens possibles pour le retenir. Il lui avait demandé si je lui avais dit de venir. Benoît répondit que non, mais qu’il était persuadé que je l’attendais. À mesure qu’on le raisonnait et que le temps s’écoulait, on le voyait s’agiter sur sa chaise, son visage changeait, ses yeux s’exaltaient ; enfin vers 5 h. 20, il ne put plus tenir en place et s’élança brusquement au dehors.
  2. J’avais opéré avec un seul élément de pile de télégraphe ; quelques jours après, je donnai de nouveau à Benoît, en état somnambulique, la suggestion d’être Henri au réveil. J’avais alors une pile de deux éléments ; je fis passer le