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tance (et a priori il n’y a pas de raisons pour qu’il n’en soit pas ainsi). Il y a peut-être là une explication possible d’un certain nombre de faits étranges, et qui n’introduirait nullement le surnaturel dans notre savoir. Peut-être d’autres explications sont-elles aussi possibles et non moins naturelles. Je ne vois pas pourquoi nous ne serions pas amenés à élargir considérablement notre conception de la nature, c’est ce que nous faisons d’ailleurs depuis longtemps. Mais l’important est, d’abord, de bien constater les phénomènes.

Fr. Paulhan.

D. Heinrich Romundt.Die Vollendlng des Sokrates.Immanuel Knnts GnimUegung zur Reform der Sittenlehre (L’achèvement de Socrate. — Fondement d’une réforme de la théorie des mœurs). Berlin, Stricker, 1885, vi-304 p.. in-8o. — Ein neuer Paulus.Immanuel Kants Grundlegung zu einer sichcren Lehre von der Religion (Un nouveau Paul. — Fondement d’une théorie de la religion.) Berlin, Stricker, 1886, viii-309 p. in-8o.

Kant écrivait, en 1793, à C Fr. Stäudlin : « Mon plan a été de résoudre ces trois questions : « Que puis-je savoir ? Que dois-je faire ? Qu’oserai-je espérer ? » Ces trois questions, répondant à la métaphysique théorique, à la morale et à la religion, furent l’objet, en effet, des trois Critiques de Kant. M. Romundt les reprend après le maître, et les titres donnés à ses ouvrages en accusent suffisamment le dessein. Nous avons déjà parlé ici du Fondement d’une réforme de la philosophie[1]. Nous présentons aujourd’hui aux lecteurs les esquisses d’une théorie des mœurs et de la religion, empruntée à la critique kantienne et, par delà, à l’apôtre Paul et à Socrate.

M. Romundt répudie, nous le savons déjà, et Schopenhauer, et Kuno Fischer, et Cohen, lesquels, dit-il, n’ont pas compris la philosophie morale de Kant. La théorie des mœurs doit être réformée, et elle ne doit pas l’être selon les vues fantaisistes d’un Herbert Spencer, mais dans le sens socratique. Le retour à Socrate, tout en marquant un progrès, ne suffirait pourtant pas au but d’une science certaine ; il faut retourner à Kant, au continuateur génial du grand Athénien.

La vocation de Socrate, écrit M. Romundt, fut de faire du lien et du mal un objet de recherche scientifique, de montrer que la raison se peut employer à un autre usage que la recherche de la nature, et d’ouvrir ainsi le domaine de la « raison pratique ». Il eut l’idée d’une science des mœurs, il lui manqua seulement un fondement sur lequel l’établir. Kant sut trouver ce fondement, et le prit dans l’activité humaine, parce qu’il était un théoricien et un savant, quand Socrate n’était qu’un moraliste. Il sépara le monde de l’événement, le monde empirique, du monde de la raison pure ; il découvrit dans la pure raison la source première et cachée de la moralité, et, dès lors, on eut le moyen de distinguer le principe du bonheur, qui est dans la nature physique de l’homme, du principe de la moralité, qui est dans sa nature

  1. Revue philos., n° de janvier 1886.