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nous cause[1]. » — N’est-ce pas là confondre une métaphysique à l’usage du très petit nombre avec une religion telle qu’elle existe en fait, comme toute autre, à titre de phénomène social ? C’est un point que M. Gustave Le Bon, à notre avis, a très bien établi. Il nous explique aussi comment le bouddhisme, né dans l’Hindoustan, a été chassé, sauf dans l’Île de Ceylan, pour prospérer ailleurs, dans l’Indo-Chine, la Chine, le Japon, etc. Est-ce comme on l’a prétendu à la suite de persécutions qui auraient succédé à une période d’efflorescence et de domination dont témoignent les monuments des ive et ve siècles avant notre ère ? L’auteur rejette complètement cette thèse. En admettant, dit-il, que le caractère si tolérant des Hindous soit compatible avec l’idée de persécutions religieuses et que les persécutions puissent détruire une religion, au lieu de la propager, contrairement à ce que nous apprend l’histoire, on resterait encore en présence d’autres difficultés d’ordre matériel qu’il indique (p. 367). Pour lui, la disparition du bouddhisme a été un phénomène de réabsorption lente dans le brahmanisme dont il était sorti. « Il a disparu out simplement parce qu’il s’est graduellement fondu dans la religion d’où il était né. » Il n’a pas eu la force suffisante pour lutter contre les vieilles croyances ou du moins pour les remplacer. L’auteur justifie sa thèse par l’étude des monuments, particulièrement ceux du Népal où les deux religions sont si intimement mêlées qu’il est souvent impossible de dire à quel culte un temple appartient.

« Il importe assez peu, nous dit-il, de connaître la vie réelle de Bouddha » (p. 336). Nous partageons cet avis. Ce point a beaucoup exercé la sagacité des érudits ; mais que le bouddhisme soit une création purement individuelle (ce qui est bien peu probable) ou une œuvre collective, il existe à titre de fait, de manifestation psychologique, morale, sociale. C’est là l’important, tout le reste est secondaire. « Ce n’était pas à proprement parler une religion nouvelle que le bouddhisme apportait au monde. C’était une nouvelle morale. Quant à ses dogmes, il n’en avait qu’un, puisque sa seule affirmation était l’affirmation de l’illusion et du néant. Dans la pratique, il ne renversa rien et il ne combattit rien. Il laissa subsister le brahmanisme avec ses dieux et ses castes ; seulement les dieux et les démons, le Brahmane et le Soudra ne furent plus que des formes éphémères se transformant sans cesse et qui plus tôt ou plus tard aboutissaient à un anéantissement suprême précédé par l’état de Bouddha, c’est-à-dire par la possession de l’intelligence absolue » (p. 347). « Bouddha n’essaya pas plus d’ébranler le panthéon brahmanique qu’il n’essaya, contrairement à l’erreur tant de fois répétée, de toucher au régime des castes. Cette pierre angulaire de la constitution sociale de l’Inde, aucun réformateur n’aurait été assez puissant pour l’ébranler » (p. 364). Tout ce qui sortit du bouddhisme fut le résultat logique de sa morale ; rien de plus.

L’auteur maintient que la religion bouddhique — telle qu’elle est pratiquée en réalité est le plus polythéiste de tous les cultes ; et que c’est une grande erreur que de confondre avec les véritables croyances du peuple, c’est-à-dire,

  1. Le Bouddha et sa religion. Introd., p. XXI.