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analyses. — guyau. L’irréligion de l’avenir

suprême idéal consiste dans l’établissement de rapports sociaux toujours plus étroits entre les êtres. Seulement les associations de l’avenir ne ressembleront pas à celles du passé. L’individu y entrera librement et y conservera toute sa liberté. Dès maintenant, les assurances sont des associations de ce genre.

Mais toute association suppose une certaine communauté d’idées. À mesure que la libre spéculation remplacera les croyances, ne suscitera-t-elle pas une divergence toujours plus grande entre les opinions ? L’auteur espère au contraire que les hypothèses iront en se rapprochant les unes des autres, à mesure qu’elles se rapprocheront davantage de la réalité. Entre les doctrines métaphysiques et morales un triage se fait qui se continuera dans l’avenir. Mais en même temps plus on verra la réalité de près et mieux on en distinguera tous les détails ; plus les esprits progresseront et plus ils deviendront pénétrants. Par conséquent ils divergeront de plus en plus à partir d’un centre commun où ils viendront converger. Ainsi se trouveront réalisées du même coup cette fusion des intelligences sans laquelle il n’y a pas de vie collective et cette différenciation croissante qui est la loi du progrès.

Dans les derniers chapitres de l’ouvrage, l’auteur cherche à prévoir quels sont les principaux groupes où viendront se ranger les grandes hypothèses métaphysiques et morales. Il ne se propose pas d’en juger la valeur scientifique, mais seulement d’en déterminer la caractéristique essentielle, l’esprit tant spéculatif que pratique. Il passe ainsi en revue le théisme, le panthéisme sous sa double forme, optimiste (Spinoza), pessimiste (Schopenhauer, Hartmann), enfin le naturalisme idéaliste, matérialiste, moniste. Quoique le naturalisme se renferme dans l’étude de la nature, il ne peut échapper à la question de l’être. L’être est-il matière, est-il esprit ? Comme l’ont montré Taine et Lange, le matérialisme, poussé jusqu’à ses dernières conséquences, finit par rentrer dans l’idéalisme ; car il aboutit à un mécanisme abstrait qui vient se fondre dans les lois de la logique et de la pensée. Quant à l’évolutionnisme idéaliste, tel que l’a présenté Fouillée, il ne s’éloigne pas beaucoup du monisme. C’est donc cette doctrine qui tend de plus en plus à triompher. Le monisme ne ramène ni la pensée à la matière, ni la matière à la pensée ; il les prend toutes deux réunies dans cette synthèse, la vie. La vie engendre la conscience en se concentrant et elle se répand sous forme d’action, et cela spontanément, mécaniquement, sans que l’attrait d’une fin désirable vienne, dès le début, solliciter le mouvement. Le grand avantage du monisme c’est de laisser une place aux grandes espérances métaphysiques et morales dont l’humanité jusqu’ici n’a pas pu se passer. Si rien ne nous autorise à supposer que l’évolution aille vers un but marqué, cependant rien ne nous empêche de « la concevoir comme aboutissant à des êtres capables de se donner à eux-mêmes un but et d’aller vers ce but en entraînant après eux la nature… Il n’est pas probable que nous soyons le dernier échelon de la vie, de la pensée et de l’amour. Qui sait même si l’évolution ne pourra ou n’a pu déjà