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traitée cette question (2e partie, VII) est des meilleurs du livre. Après avoir dénoncé tout ce qu’il y a d’étroit et de superficiel dans le malthusianisme théorique, M. Guyau cherche d’où provient notre croissante infécondité et il montre que les causes en sont surtout morales. On croit que le meilleur moyen de faire le bonheur d’un enfant est de lui donner une fortune ; on ne comprend pas qu’il vaudrait beaucoup mieux lui fournir les moyens d’en gagner une ; que les hommes sont d’autant plus heureux qu’ils sont plus occupés ; que la richesse qui dispense de l’action est l’ennemie du bonheur. Or jusqu’ici la religion seule a combattu les doctrines et les pratiques malthusiennes. La morale laïque et la politique se sont désintéressées de la question, quoique vitale. Il faut mettre fin à cette négligence et agir. On dispose pour cela de plusieurs moyens. Il y a d’abord la législation. On pourrait réformer la loi sur les devoirs filiaux, afin de mieux protéger les parents contre l’ingratitude des enfants ; la loi sur les successions afin de dégrever autant que possible tout héritage qui doit se partager entre un grand nombre d’enfants ; la loi sur le service militaire de manière à favoriser les familles nombreuses. Enfin et surtout il faudrait agir par la voie de l’éducation, ouvrir aux esprits et aux ambitions des horizons nouveaux. Toutes les fois qu’une sphère d’action illimitée s’ouvre devant une race, elle ne restreint plus le nombre de ses enfants » (297).

III. — Puisque les vieilles religions s’en vont, et que les progrès croissants de la science joints à la vulgarisation de l’esprit scientifique rendent impossible l’apparition d’une religion nouvelle, l’idéal religieux ne peut consister que dans l’anomie religieuse, c’est-à-dire dans l’affranchissement de l’individu, dans la suppression de toute foi dogmatique. Déjà l’auteur avait démontré ailleurs que l’idéal moral consiste dans l’anomie morale. Ce qui survivra des religions, c’est tout ce qu’il y a en elles de respectable et d’éternel, à savoir le désir d’expliquer, le sentiment de l’inconnu et de l’inconnaissable, le besoin de l’idéal. « Grâce à ce double sentiment des bornes de notre science et de l’infinité de notre idéal, il est inadmissible que l’homme renonce jamais aux grands problèmes sur l’origine et sur la fin des choses » (332). En d’autres termes, ce qui restera de la religion, c’est l’instinct métaphysique et philosophique, c’est l’amour de la spéculation, mais de la libre spéculation. Voilà ce qui sépare radicalement les systèmes philosophiques des croyances religieuses ; c’est que les premières ne relèvent que de la libre raison. C’est donc abuser des mots que d’appeler, comme Spencer, du nom de religion toute hypothèse sur l’inconnaissable. La véritable religion de l’avenir, c’est l’irréligion.

Cependant la religion n’est pas tout entière dans l’aspiration métaphysique ; nous avons vu en effet qu’elle était à l’origine essentiellement sociologique. À côté de vues spéculatives, il est une idée pratique qu’on retrouve dans toutes les religions, c’est l’idée d’association. Cette idée-là leur survivra. De plus en plus l’humanité se convaincra que le