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leur formation même, et ces résultats acquis de la science se transmettent peu à peu des savants à la foule par la voie de l’instruction primaire. En même temps, le commerce, l’industrie développent l’esprit d’initiative et le sentiment de la responsabilité. L’assurance substitue l’action directe de l’homme à l’intervention de Dieu dans les événements particuliers. Pourtant même aujourd’hui la foi a encore un dernier asile où elle se retranche : c’est la sphère des accidents physiques et moraux. Là notre actuelle impuissance, et surtout une ignorance trop générale incline bien des esprits à chercher hors du monde l’espérance dont ils ont besoin. Mais les sciences, à mesure qu’elles progresseront et seront mieux connues, parviendront à déloger la foi de ce dernier poste ; et la religion finira « par disparaître ou tout au moins par se concentrer dans un petit nombre de fidèles. »

Sans doute, a-t-on dit, le dogme est insoutenable, pris à la lettre ; mais pourquoi se tiendrait-on à l’expression littérale ? Les mots n’ont pas de sens par eux-mêmes ; c’est à l’esprit à chercher l’idée ; le texte le plus sacré a besoin d’être interprété. Malheureusement, une fois que le croyant eut été autorisé par Luther à interpréter, il fut vite induit à mettre sa propre pensée à la place de la pensée divine ; et bientôt on ne vit plus que des symboles même dans les dogmes les plus essentiels, même dans le dogme de la révélation. Le Christ, les miracles ne font plus que figurer la divinité ; et encore pourquoi Dieu lui-même ne serait-il pas un symbole ? Et on en est effectivement arrivé à ne voir en Dieu que l’idéal moral personnifié. N’est-il pas clair qu’une pareille doctrine n’est qu’une philosophie inconséquente et ne mérite pas le nom de religion. Si le Christ n’est pas un Dieu, pourquoi le prier, pourquoi voir dans sa parole le dernier mot de la vérité ? Parce qu’il est un homme d’un genre extraordinaire ? Mais il est contraire à la continuité historique et à la loi du progrès de voir dans un homme, même supérieur, l’expression de tous les siècles.

Mais en dehors des dogmes, pris à la lettre ou interprétés symboliquement, il y a dans la religion quelque chose qui semble devoir résister davantage à la critique et maintenir la foi ; c’est la morale. La morale s’est développée au sein de la religion qui lui a servi d’enveloppe protectrice ; la nécessité de cette protection durera-t-elle toujours ? — Pour répondre à la question, l’auteur analyse avec soin tous les éléments de la morale religieuse. Il en distingue deux essentiels : le respect et l’amour. Mais le respect, tel que l’enseigne la religion, n’est qu’une forme de la crainte ; ce n’est pas la vénération de l’idéal, c’est la peur de la vengeance divine. Or la crainte est un sentiment pathologique qui n’a rien de moral. Quant à l’amour, les religions l’ont corrompu en le réclamant tout entier pour Dieu. Cet amour mystique détache l’homme du monde et de lui-même, le rend indifférent à tout ce qui l’entoure et finit dans le désenchantement et dans le dégoût. Ce qui remplace aujourd’hui cet amour contemplatif et inerte, c’est l’amour actif et vivant de la famille, de la patrie, de l’humanité, de l’idéal. Pour