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analyses. — guyau. L’irréligion de l’avenir

tincts du corps qu’ils animent est un commencement d’explication métaphysique. Comme ces esprits sont à la fois puissants, prévoyants et, suivant les cas, bienveillants ou hostiles, ils ne tardèrent pas à apparaître comme des providences qui intervenaient à chaque instant dans le cours des choses et se mêlaient à la vie de la famille ou de la tribu. L’homme se sentait ainsi à chaque instant sous la main et la protection de la divinité, et, comme il était incapable de se gouverner lui-même, il trouvait son compte à cette dépendance continue. En se développant, ce concept d’une puissance providentielle devait naturellement devenir l’idée d’un Dieu ordonnateur, puis créateur du monde. Ici finit la seconde phase de l’évolution religieuse, la phase métaphysique. Pendant la première, la force est l’attribut divin par excellence ; pendant la seconde, c’est l’intelligence, la science, la prévoyance. Dans la troisième, celle qui est en train de s’achever sous nos yeux, c’est la moralité. Avec le temps en effet la providence fut de plus en plus conçue comme une puissance morale. On vit dans la divinité le soutien de l’ordre social, le vengeur attitré de la vertu et l’idée de sanction naquit. Cette sanction on crut d’abord qu’elle s’accomplissait définitivement dès cette vie, puis peu à peu on recula l’époque de l’échéance, au delà de la tombe. « L’enfer et le ciel s’ouvrirent pour corriger cette vie dont l’imperfection devenait trop mauvaise » (p. 88).

Quant au culte, c’est la religion devenue visible et tangible ; comme elle, il se ramène à une relation sociologique, à un échange de services. « L’homme qui croit recevoir des dieux se croit aussi obligé de leur donner quelque chose en échange. » Il croit pouvoir leur être utile ou agréable et de cette manière avoir prise sur eux. Plus tard, en se liant à des sentiments élevés, le culte extérieur et le rite ont pris un caractère symbolique. Ils ont servi à exprimer quelque grand drame mythologique, ou légendaire. Enfin est venu le culte intérieur, « l’inclination mentale de l’à ne tout entière devant Dieu », et le rite n’a plus été que le symbole de cette adoration intérieure, qui trouve sa forme la plus haute dans l’amour de la divinité. C’est ainsi que la société des dieux et des hommes est allée en s’épurant et se spiritualisant de plus en plus. Dieu est devenu le principe même du bien, la personnification de la loi morale.

II. — Voilà comment se sont constituées les religions ; que deviennent-elles aujourd’hui ? (2e Partie.) Il faut fermer les yeux à l’évidence pour ne pas s’apercevoir qu’elles sont en train de se dissoudre. Les dogmes s’en vont. Par sa partie positive et constructive, la science est déjà sur certains points en mesure de les remplacer. Sur une foule de questions, sur la genèse du monde par exemple, elle nous donne des éclaircissements bien plus étendus et plus détaillés que la Bible. Mais elle a plus d’importance encore par son influence destructive et dissolvante. La géologie a renversé d’un coup les traditions de la plupart des religions ; la physiologie du système nerveux donne l’explication de bien des miracles ; les sciences historiques attaquent les religions jusque dans