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le moins du monde le besoin de s’expliquer ces propriétés en imaginant sous la masse matérielle qu’il a devant les yeux des forces invisibles et des puissances occultes.

À vrai dire, l’animé et l’inanimé sont des distinctions abstraites et savantes dans lesquelles ne peuvent entrer des esprits aussi simples que ceux de l’enfant ou du sauvage. Pour eux, tout est animé, parce que tout se remue et agit comme ils agissent et se meuvent eux-mêmes. Ils sont donc tout naturellement induits à voir partout dans les chosée des êtres vivants, capables d’action. Cette vie, ils la conçoivent comme la leur propre ; ils la supposent donc accompagnée d’intelligence, de conscience et de volonté. D’autre part l’expérience leur apprend vite que ces êtres vivants ne sont pas des quantités négligeables dont on peut sans inconvénient faire abstraction. Tantôt ils nous servent, et tantôt ils nous nuisent ; ils ont en un mot une influence sur notre destinée. Voilà le deuxième élément de la notion de la divinité. Un Dieu c’est un être vivant avec lequel l’homme doit compter. Mais c’est encore quelque chose de plus : c’est un être vivant d’une puissance qui passe l’ordinaire. Cette idée, les hommes l’obtiennent en constatant dans certains grands phénomènes la manifestation d’une volonté beaucoup plus puissante que la volonté humaine, par conséquent beaucoup plus respectable.

Nous avons maintenant les dieux et du même coup la religion. Les dieux sont des êtres plus puissants que l’homme, mais semblables à lui, et qui vivent en société avec lui. Le lien religieux ayant pour effet de rattacher l’homme à ces êtres supérieurs sera donc un lien social. Les hommes et les dieux sont tout près les uns des autres ; ils se touchent sans cesse pour ainsi dire ; agissent et réagissent perpétuellement les uns sur les autres. La religion est l’ensemble des lois qui règlent ces actions et ces réactions sociales. Naturellement ces lois seront conçues à l’image de celles qui régissent les rapports des hommes entre eux. Pour s’assurer la protection et l’amitié de ces puissances redoutables, l’homme emploiera les mêmes moyens dont il use dans les mêmes occasions avec ses semblables : prières, offrandes, marques de soumission, etc. La religion est donc une sociologie, mais qui est sortie tout entière de l’imagination humaine ; elle résulte d’un raisonnement par analogie. D’autre part, comme elle a été inventée pour expliquer l’Univers, on peut définir la religion une explication sociologique universelle à forme mythique » (iii).

Naturellement cette sociologie évolue comme la société humaine qu’elle reflète. Elle passe par trois phases. À l’origine, elle est toute physique. La société des dieux comprend tous les objets de la nature, animaux, plantes, minéraux, avec lesquels l’homme est sans cesse en communication, sans qu’on songe encore à y distinguer l’âme du corps, l’esprit de la matière. La dissociation de ces deux idées primitivement confondues, l’avènement du spiritisme ou de l’animisme marquent une ère nouvelle dans l’histoire des religions. La conception d’esprits dis-