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CALINON.le temps et la force

double, triple, etc. À cet effet, on compare cet angle aux indications d’un chronomètre, instrument qui est censé mesurer le temps avec une série de mouvements identiques, des oscillations par exemple, qui se succèdent les unes aux autres ; mais la rotation de la terre est précisément une circonstance de ces mouvements supposés identiques ; il est donc impossible de savoir que ces mouvements sont identiques, si on ne connaît pas tout d’abord comment s’accomplit la rotation terrestre.

Ainsi, cette mesure du temps basée sur une définition des durées égales est un véritable cercle vicieux et doit être rejetée.

On échappe à cet inconvénient en considérant le sens de la durée comme une notion première, sorte de postulatum sur lequel repose toute la mécanique : il est incontestable que nous avons tous un certain sentiment de la durée mesurable ; mais d’où vient ce sentiment ? Dire qu’il est une notion première, c’est reconnaître qu’on a renoncé à lui assigner une origine, ce qui n’est pas une solution.

Or, parmi les mouvements astronomiques, il en est un qui joue dans notre existence matérielle un rôle capital et qui a dû frapper immédiatement l’esprit de l’homme, lors même que tous les autres mouvements astronomiques pouvaient encore lui échapper ; nous voulons parler de cette rotation de la terre, rotation rendue visible pour lui par le mouvement apparent de la sphère céleste. D’abord cette rotation donne lieu à une période très remarquable, celle du jour, qui se précise d’une façon aussi tranchée que possible par l’apparition et la disparition du soleil ; de plus, cette période est assez courte pour qu’on n’ait pas le temps de l’oublier ; enfin, c’est elle qui règle quelques-uns des actes importants de la vie animale, comme le sommeil : on peut donc dire que l’homme s’est en quelque sorte façonné sur cette période en y adaptant ses habitudes matérielles et forcément aussi ses habitudes d’esprit. Or, lorsque nous examinons ce mouvement de rotation, à l’aide de notre sentiment de la durée ou d’instruments basés sur ce sentiment, nous constatons que l’angle de cette rotation est précisément proportionnel à cette durée : peut-on admettre qu’il y a là une pure coïncidence ? N’est-il pas admissible, au contraire, que ce mouvement de rotation, en présence duquel la pensée humaine s’est en quelque sorte formée, est pour beaucoup dans ce sentiment de la durée mesurable ? Remarquons bien qu’il faut examiner de très près les mouvements de cette terre que nous habitons ; ces mouvements qui nous échappent parce qu’ils sont devenus pour nous une habitude inconsciente ont jeté notre esprit dans de très grandes erreurs ; nous avons cru la terre immobile ; or, quand on s’est trompé d’une façon aussi grave, on se doit à soi-