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DELBŒUF.de la prétendue veille somnambulique

que cette idée soit acceptée par son intelligence et s’y implante avec le caractère d’une obsession ; il sent alors que sa volonté est impuissante ; il se rend compte qu’il ne peut faire autrement et que toute résistance de sa part est impossible. Il est alors comparable à l’aliéné qui, sous l’empire d’une idée fixe et d’une impulsion irrésistible, tue, vole ou incendie avec la plus complète irresponsabilité. »

Deux pages plus loin, M. Beaunis ajoute : « En tout cas, même quand le sujet résiste, il est toujours possible, en insistant, en accentuant la suggestion, de lui faire exécuter l’acte voulu. Au fond, l’automatisme est absolu et le sujet ne conserve de spontanéité et de volonté que ce que veut bien lui en laisser son hypnotiseur ; il réalise, dans le sens strict du mot, l’idéal célèbre : il est comme le bâton dans la main du voyageur. Aussi, contrairement à l’opinion de Pitres (Des suggestions hypnotiques), je serais disposé à admettre en principe l’irresponsabilité des somnambules. On a bien signalé et on trouvera dans les Mémoires de Bernheim et de Pitres des exemples de résistance à l’impulsion suggérée ; mais ces exemples sont rares et je suis convaincu que, par un exercice gradué et une sorte d’éducation, on pourrait toujours arriver à faire exécuter à un somnambule l’acte qui répugne le plus à son caractère. Aussi Pitres lui-même est-il forcé d’admettre que « le médecin appelé à donner son avis sur le degré de responsabilité d’un sujet convaincu d’avoir accompli un acte délictueux ou criminel sous l’influence de suggestions hypnotiques, devra toujours conclure à l’irresponsabilité légale de l’accusé ».

À mes yeux, ces lignes renferment une erreur de fait, un sophisme et une contradiction.

Ce jugement est un peu raide dans sa forme ; j’espère me la faire pardonner par la confession ingénue de ma faiblesse. Qui ne connaît M. Ratin, le maître de Jules, cette délicieuse création de Töppfer ? M. Ratin est un excellent homme, mais il a un bourgeon sur le nez, et ce bourgeon le rend terriblement susceptible. Töppfer part de là pour avancer que chacun a son bourgeon quelque part. Je ne sais s’il n’y a pas d’exception, mais, à coup sûr, j’ai le mien c’est ma croyance en la liberté. Fait-on mine de toucher à mon idole, je vole à sa défense et je ne ménage pas mes coups. Mais que la famille et les amis de M. Beaunis se rassurent ! Les gens que je tue continuent à se bien porter.

Je dis donc qu’il y a une erreur de fait, la voici. On a pu voir par ce qui précède que ni J… ni M… ne se regardent nullement comme libres quand elles sont sous l’empire d’une suggestion. Bien au contraire. J… se sent comme punie, comme condamnée à un travail forcé ; c’est comme si elle avait à expier une grande faute. Pour