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du Dr Liébeault caractérisent d’une façon magistrale l’état de la volonté dans le somnambulisme provoqué. Je puis dire à un hypnotisé pendant son sommeil : Dans dix jours vous ferez telle chose, à telle heure, et je puis écrire sur un papier daté et cacheté ce que je lui ai ordonné. Au jour fixé, à l’heure dite, l’acte s’accomplit et le sujet exécute mot pour mot tout ce qui lui a été suggéré ; il l’exécute convaincu qu’il est libre, qu’il agit ainsi parce qu’il l’a bien voulu et qu’il aurait pu agir autrement ; et cependant si je lui fais ouvrir le pli cacheté, il y trouvera annoncé dix jours à l’avance l’acte qu’il vient d’exécuter. Nous pouvons donc nous croire libres et ne pas l’être. Quel fond pouvons-nous donc faire sur le témoignage de notre conscience, et ce témoignage, n’est-on pas en droit de le récuser, puisqu’il peut nous tromper ainsi ? Et que devient l’argument tiré, en faveur du libre arbitre, du sentiment que nous avons de notre liberté ? Je demande la permission de citer ici un passage de ma Physiologie : « L’activité cérébrale, en un instant donné, représente un ensemble de sensations, d’idées, de souvenirs, dont quelques-uns seulement sont saisis par la conscience d’une façon assez forte « pour que nous en ayons une perception nette et précise, tandis que les autres ne font que passer sans laisser de traces durables ; les premiers pourraient être comparés aux sensations nettes et distinctes que donne la vision dans la région centrale de la tache jaune, les autres aux sensations indéterminées que fournit la périphérie de la rétine. Aussi arrive-t-il très souvent que, dans un processus psychique composé d’actes cérébraux successifs, un certain nombre de chaînons intermédiaires vient à nous échapper… Il me paraît très probable que la plus grande partie des phénomènes qui se passent ainsi en nous se passent à notre insu, et, ce qu’il y a d’important, c’est que ces sensations, ces idées, ces émotions auxquelles nous ne faisons aucune attention, peuvent cependant agir comme excitants sur d’autres centres cérébraux et devenir ainsi le point de départ ignoré de mouvements, d’idées, de déterminations dont nous avons conscience. » (2e édit., p. 1331.) Ces idées reçoivent une nouvelle confirmation de ce qu’on observe dans le somnambulisme provoqué, spécialement en ce qui concerne l’état de la volonté.

« Ce qu’il y a de remarquable, c’est que, si l’acte suggéré est un peu étrange, un peu insolite, le sujet cherche des raisons pour faire ce qu’il fait et il en trouve. Dans certains cas, cependant, quand l’acte suggéré a un caractère par trop singulier ou criminel, l’attention du sujet est éveillée et il s’étonne lui-même, non pas peut-être de l’idée (chacun sait quelles idées étranges traversent parfois notre cerveau), mais