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triomphe, et mon sentiment doit se refléter sur ma figure ; J….. s’arrête brusquement, et colle son bras le long de son corps. Je la réveille, et la conscience lui revient.

Elle est en fureur contre elle-même. Elle décrit dans les termes suivants l’état de son esprit : « Ce qui me surprend, c’est que je sens venir ça et que je n’y puis pas résister. Ça m’est venu quand madame a été au lit : c’est quelque chose dans mon intérieur qui m’emporte, me pousse, m’oblige à obéir. Cela vient brusquement. Je croyais que cela allait se passer. — Étiez-vous endormie ? — Je ne saurais pas dire ; mais j’étais toute drôle. Quand j’ai pris la carafe, je pensais bien que je résisterais, que c’était fini, et je me sentais plus à l’aise. Puis j’ai dû céder. Mais je ne le ferai plus. — Voulons-nous essayer ? — Oui… Mais non. Je sens que je le ferais encore. » Je suis moi-même convaincu qu’elle cédera, par la raison même qu’elle a cédé. Mais je ne veux pas poursuivre l’expérience plus loin, de peur de gâter le sujet. Je pourrai le reprendre plus tard, lorsque j’aurai terminé la série des investigations pour lesquelles je la réserve. D’ailleurs, au point où en est la question, cette poursuite ne présenterait plus grand intérêt.

Ce qui va suivre en présente davantage. J….. se rappelle parfaitement toute la conversation du matin, le but de mes expériences, le défi que je lui ai posé, sa résolution de ne pas céder à mon injonction. Mais le souvenir de cette même conversation tenue pendant son sommeil est complètement aboli. Je lui annonce que je vais l’endormir pour le faire revenir. Et, en effet, endormie, elle me reproduit tout le dialogue. Arrivée au milieu de sa dernière phrase : « Non, monsieur, je ne le ferai pas », je la réveille. Elle me répète de nouveau tout le dialogue qu’elle vient de retrouver ; mais il lui semble maintenant qu’il a été tenu, non pas quand elle dormait, mais quand elle était éveillée ; seulement elle ne sait pas à quel moment.

Cette confusion est des plus compréhensibles ; elle n’en est pas moins digne de remarque. Nous verrons plus loin la confusion inverse se produire : la parole entendue à l’état dit de veille ne pouvant plus se remémorer que dans l’état hypnotique, — nouvelle preuve du caractère hypnotique de ce prétendu état de veille.

La plupart des traits épars que j’ai notés jusqu’à présent sont rassemblés dans cette vivante description empruntée à M. Beaunis[1] : « La façon dont les suggestions s’établissent chez les sujets et les moyens qu’ils emploient parfois pour y résister donnent des renseignements précieux sur l’état de la volonté dans le somnambulisme.

  1. Recherches expérimentales, etc., p. 80.