qui se réalisent matériellement ; par exemple, les anesthésies, les hyperesthésies, les paralysies, les contractures. Quand le sujet devient insensible, que ce soit par suggestion ou autrement, le fait existe qu’il est insensible. Il n’en est pas de même si on lui fait accroire qu’il n’a plus de bras. Dans le premier cas, l’idée a un substratum réel ; ce qu’elle n’a pas dans le second. Je pourrais m’étendre davantage sur ce sujet, et rechercher, par exemple, si on peut mettre sur le même rang ces deux phénomènes inverses, la disparition et l’apparition suggérée d’une douleur déterminée comme celle d’une brûlure. Mais ceci m’entraînerait absolument trop loin. Je me contenterai d’établir, par des preuves expérimentales, l’hypnotisation du sujet au moment d’une suggestion sine materia, si je puis employer ici ce terme d’école.
Voici un fait choisi entre cent. Était présent M. R. Boddaert, professeur de clinique à l’université de Gand.
J… est à la table, et bien éveillée. Je lui mets en main un rond de serviette. « Qu’est que c’est que cela, J… ? — Un rond de serviette, me répond-elle en riant. — Vous vous trompez, c’est un cercle de roue de charrette. » Instantanément la figure de J… change ; le regard devient fixe et étonné. « Vraiment, monsieur ! comme il est grand ! » et elle trace un grand cercle sur la table. « Il faut ôter cela, J… » J… soulève avec effort le rond de serviette : « Comme il est lourd ! — Je vais vous aider. — Non, vous vous ferez mal ! » Elle le dépose à terre avec précaution, puis le fait rouler lentement devant elle, et le dépose contre le mur dans un coin. Je vais pour le prendre. Elle est anxieuse. Je le soulève et le laisse retomber. Elle retire vivement ses pieds et s’assure, avec la terreur peinte sur son visage, qu’il n’est pas tombé sur les miens. « Pas d’imprudence, monsieur, je vous prie ! » J… n’est pas éveillée, car elle ne voit plus personne. Elle ne roulerait pas un rond de serviette devant un inconnu en présence de qui elle est pour la première fois. Du reste je n’ai qu’à dire : « Éveillez-vous ! » ou lui souffler dans la figure, ou la secouer d’une certaine façon, pour qu’elle revienne à elle. Or, si je l’éveille, c’est qu’elle est endormie.
Je l’interroge. « Qu’avez-vous fait ? — Je ne sais pas ; ai-je été endormie ? — Oui. — Je ne me souviens pas. » Je lui montre le rond ; ses souvenirs reviennent et elle sourit. Elle raconte tout le rêve.
Je ne disconviens pas que ces choses sont étranges et encore entourées d’un voile obscur. Je crois, comme je l’ai déjà annoncé, en posséder l’explication. Pour le moment, je me borne à faire remarquer que, par mon interprétation, l’inexpliqué, au lieu de se ramifier indéfiniment, converge vers un tronc unique.