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à faire. Je n’en ai pas ce soir-là prolongé l’épreuve, mais je suis certain qu’elle aurait pu rester dans cette pose des heures entières.

Un jour, j’ai prolongé l’expérience. Elle devait mettre des boutons de bretelles à un pantalon. Je lui fis faire cet ouvrage endormie. Quand elle eût fini, elle se mit à réparer et à modifier toutes sortes de petits détails qui, d’après elle, n’étaient pas confectionnés dans les règles. Je lui dis de ne pas perdre son temps à ces bagatelles. « Mais, me dit-elle, je n’ai rien d’autre à faire. — Pensez bien. » J….. se mit à réfléchir, puis songea qu’elle pourrait bien aller fendre du bois. Or, notez que ses travaux à l’aiguille étaient loin d’être terminés.

Conclusion : le somnambule est monotone et ne joue que l’air pour lequel il est remonté.

X

Jusqu’à présent, je n’ai parlé que des suggestions avec hypnotisation préalable. Mais M. Bernheim parle de suggestions et d’hallucinations données pendant l’état de veille. Ce sont de pareilles suggestions que j’ai vu faire à la pensionnaire malingre de la Salpêtrière. Qu’en est-il de ces suggestions ? Les réponses se pressent.

Comme le dit M. Bernheim[1], les sujets qui ont été hypnotisés plusieurs fois peuvent, sans être hypnotisés de nouveau, présenter à à l’état de veille l’aptitude à manifester des phénomènes suggestifs. Tous les phénomènes rapportés par M. Bernheim. je les ai reproduits avec la plus grande facilité non seulement sur mes sujets ordinaires, mais encore sur ceux de Donato et sur la jeune paysanne[2] dont j’ai parlé dans les premières pages : anesthésie (M. Masius, on se le rappelle, a percé la langue de J… éveillée), pour l’urtication, la brûlure, etc., paralysies, contractures, amnésies, hallucinations, etc.

Comment expliquer ces phénomènes ? Pour moi, il est hors de doute que le sujet est hypnotisé par la suggestion même qu’on lui donne.

La plupart des suggestions sont, au fond, des contre-réalités. Voir ou sentir ce qui n’est pas, c’est être en dehors du monde réel et habiter celui des rêves. La suggestion renferme ainsi implicitement le signe qui plonge le sujet dans l’hypnose.

Je viens de dire la plupart des suggestions. Il y a des suggestions

  1. De la suggestion et de ses applications à la thérapeutique. Paris, 1886, p. 80 et suiv.
  2. Celle-ci, dès la seconde séance, n’avait plus besoin d’être hypnotisée. Je la reconduisais chez elle. En route, je lui dis : « Vous ne pouvez plus parler. » Elle me regarde en souriant d’un air gêne : elle ne savait plus parler, ou, ce qui est plus exact, s’interdisait de le faire. La preuve viendra un autre jour.