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GAROFALO.l’anomalie du criminel

anomalie étant absolument congénitale, la société n’a aucun devoir envers eux ; elle n’a envers elle-même que celui de supprimer des êtres qu’aucun lien de sympathie ne peut lui rattacher, et qui, étant mus uniquement par l’égoïsme, incapables d’adaptation, représentent un danger continu pour tous les membres de l’association.

Le sens moral paraît plus ou moins faible et imparfait dans les deux autres classes, caractérisées l’une par une mesure insuffisante du sentiment de pitié, l’autre par l’absence du sentiment de probité. Les premiers, n’ayant pas une répugnance bien forte pour les actions cruelles, peuvent en commettre sous l’empire des préjugés sociaux, politiques, religieux, ou de ceux de leur caste et de leur classe ; ou encore ils peuvent y être poussés par un tempérament passionné ou par l’excitation alcoolique. Leur anomalie morale peut n’être qu’insignifiante lorsque l’action criminelle n’est qu’une réaction contre un acte qui blesse lui-même les sentiments altruistes. La deuxième sous-classe est composée de gens chez qui le sentiment de probité n’existe pas, soit par défaut atavistique (c’est le cas le plus rare), soit par hérédité directe, jointe aux exemples reçus pendant la première enfance.

Nous n’aborderons pas ici la question du caractère absolument congénital de cette imperfection morale. Il se peut qu’un milieu délétère étouffe le sentiment de probité ou plutôt en empêche le développement dans le jeune âge. Ce qui est sûr, c’est que l’instinct, une fois formé, persiste toute la vie, et qu’on ne peut plus espérer de corriger par l’enseignement ce vice moral, lorsque le caractère se trouve déjà organisé, c’est-à-dire lorsque le sujet a passé l’âge de l’adolescence. Ce que l’on peut essayer souvent avec bon espoir de réussite, c’est de supprimer les causes directement déterminantes, soit en modifiant le milieu, soit en enlevant l’individu de son milieu même pour le transporter dans un milieu où il pourra trouver de telles conditions d’existence que l’activité honnête lui soit plus facile et plus profitable que l’activité malfaisante. On comprendra que le développement de ces idées devrait former à lui seul un chapitre très important.

Nous nous arrêtons ici, croyant avoir assez justifié l’anomalie psychologique du criminel, tout en laissant de côté les données de l’anthropologie sur lesquelles le doute règne encore.

R. Garofalo.