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fois, torturés pour les contraindre à cette révélation ; il y en a eu un (Frate Ambrogio) qui a succombé à la suite des tourments qu’on lui a fait subir. Il y a, dans les mêmes classes, un préjugé d’honneur : l’abandon, de la part d’une jeune fille avec laquelle on a eu des rapports, est une offense très grave. On la répare en infligeant à la pauvre étourdie un coup de rasoir à la figure, qui la marque d’un signe ineffaçable. En France, c’est l’inverse : les femmes trahies par leurs amants les vitriolent ; il y a eu des moments où cela a été une véritable épidémie.

On pourrait multiplier les exemples, mais nous préférons nous arrêter. Ce qui en ressort, c’est que l’imitation joue un rôle considérable dans une foule de crimes contre la vie ou la liberté des personnes. Faut-il en tirer la conséquence que le criminel est un homme normal et que le crime n’est que l’effet des exemples du milieu ambiant ? S’il en était ainsi, les criminels ne formeraient plus une petite minorité ; le crime perdrait son caractère d’acte exceptionnel. Les auteurs des attentats dont nous venons de parler sont toujours en défaut d’une partie proportionnelle du sentiment de pitié, dans cette mesure moyenne qui est possédée par la grande majorité d’une population. Même dans les races auxquelles nous avons fait allusion et dont la sensibilité ou la civilisation est moindre, le meurtre et les autres crimes de ce genre sont toujours des faits anormaux. Ce genre de criminalité endémique ne gagne qu’un petit nombre, ceux qui n’ont pas dans leur organisation psychique des agents de résistance assez forts, ceux chez qui cette partie du sens moral, qu’on nomme sentiment de pitié, existe à peine. « À ce défaut dérivant d’une diminution congénitale de sensibilité pour les douleurs et les sentiments désagréables, est lié, dit M. Benedickt, le défaut de vulnérabilité. » Il donne ce nom à cette qualité que possèdent certaines personnes de ne pas ressentir les conséquences des coups et des blessures, ou d’en guérir promptement. Il en cite quelques exemples étonnants dont il tire la conclusion que ces gens-là se considèrent comme des privilégiés, qu’ils méprisent les individus délicats et sensibles et que c’est un plaisir pour eux de tourmenter les autres qu’ils regardent comme des créatures inférieures.

À cette classe de crimes dérivant de l’imitation, il faut faire suivre ceux qui sont commis sous l’empire de la passion. Cet état « peut être habituel et représenter le tempérament de l’individu » (Benedickt), ou naître de quelques causes extérieures, les boissons alcooliques, par exemple, la température, ou enfin de circonstances vraiment extraordinaires, et tout à fait propres à exciter vivement la colère de toute autre personne, quoique à un degré un peu moins