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GAROFALO.l’anomalie du criminel

nous savons que l’allongement et la proéminence des mâchoires sont habituels chez les races noires de l’Afrique et de l’Océanie et accidentelles chez quelques Européens[1] ; « que, en prenant le mot dans son sens courant ordinaire, on peut dire que les races blanches ne sont jamais prognathes, et que les races jaunes et noires le sont à des degrés divers[2] » ; que des peuplades, qui sont classées parmi les plus dégénérées, telles que les Hottentots (Boschimens et Nama-quois), atteignent le maximum de prognathisme connu « dans toute l’humanité[3] ».

On est donc autorisé à supposer que nos premiers ancêtres étaient encore plus prognathes que ces sauvages, et, tout en admettant que les crânes du Néanderthal aient pu être une exception dans la race de l’âge du mammouth, on peut voir en eux, comme M. Topinard, les représentants, par atavisme, d’une race déjà éteinte, appartenant aux époques pliocène ou miocène. « Il en est ainsi, à coup sûr, des fameux Namaquois du Muséum à prognathisme inouï… ; ce seraient des représentants d’une race antérieure, éteinte, de l’Afrique. »

Nous voilà amenés naturellement à la question du rapprochement du criminel avec les races inférieures de l’humanité. En laissant de côté les caractères anatomiques, M. Tarde nous objecte qu’il y a de bons sauvages, et qu’ils ne représentent pas une infime minorité. Cela est vrai ; aussi, faut-il distinguer. Il y a des centaines de races sauvages différentes, les unes plus avancées socialement que les autres ; sans doute, aucune n’est un exemplaire parfait de l’homme préhistorique. M. Bagehot a question. « À certains égards, dit-il[4], l’homme préhistorique devait être bien différent d’un sauvage moderne. » Il s’en faut de beaucoup que le sauvage moderne soit cet être simple que les philosophes du xviiie siècle se figuraient. « Au contraire, sa vie est tout entrelacée de mille habitudes curieuses, sa raison est obscurcie par mille préjugés étranges ; son cœur est épouvanté par mille superstitions cruelles. »

Ils étaient pourtant « des sauvages qui n’avaient pas les usages fixes des sauvages, nos premiers pères. Comme les sauvages, ils avaient de fortes passions et une raison faible ; comme les sauvages, ils préféraient les transports passagers d’un plaisir violent aux jouissances calmes et durables ; ils étaient incapables de sacrifier le

  1. Topinard, l’Anthropologie, p. 281.
  2. Idem, p. 390, 3e édition. Paris, 1879.
  3. Idem, p. 289 et 290.
  4. Bagehot, Lois scientifiques du développement des nations, p. 131, 4e édition. Paris, 1882.