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Nous dirons de même que celui qui est dépourvu de quelques instincts moraux est un homme anormal (vitiosus), non pas un malade (morbosus).

On pourrait répliquer, avec les paroles d’un aliéniste italien, que somme toute « l’infirmité n’est que la vie dans des conditions anormales, et que, à ce point de vue, il n’y a pas d’antithèse absolue entre l’état de santé et l’état de maladie[1] ».

Cela est vrai, mais pour savoir ce qu’on entend par conditions anormales, il faut commencer par déterminer les conditions normales de la vie. Est-ce qu’on nous parle de celles d’un peuple, d’une race, ou de l’humanité tout entière ? C’est à toute l’espèce humaine qu’il faut rapporter les expressions d’état physiologique, ou d’état pathologique indépendamment des variations de races. Les cheveux laineux, le prognathisme, le nez camus, sont des anomalies dans notre race, sans que pour cela on leur attribue un caractère pathologique, parce que ce ne sont pas des déviations du type humain ; ces anomalies font même partie du signalement de certaines races inférieures ; elles ne troublent pas, elles n’altèrent en aucune façon les fonctions organiques. Pourquoi ne dirait-on pas la même chose à propos des variations psychiques ? L’insensibilité, l’imprévoyance, la versatilité, la cruauté, sont des caractères exceptionnels dans notre race, mais très communs ailleurs. Il n’y a donc pas d’anomalie par rapport au genus homo, il n’y en a que par rapport au type perfectionné, représenté par les peuples en voie de civilisation. Maintenant, pour mieux apprécier la distinction que nous faisons, qu’on mette en regard de la perversité innée, ces autres espèces d’anomalies psychiques : le défaut de la faculté de coordonner les idées, le manque de mémoire, l’aphasie, l’indépendance du processus psychique de toutes excitations extérieures ; voilà sans doute de vraies infirmités, parce qu’elles présentent des anomalies par rapport à l’espèce : en effet, la faculté d’idéation, qui est troublée en de pareils cas, n’est pas l’apanage d’une race, elle ne se montre pas seulement à une étape de l’évolution morale, elle existe dès que l’homme parait. Quelle différence avec la perversité instinctive ou l’absence du sens moral ! Ici, aucune fonction organique n’est dissoute ou troublée ; les conditions physiologiques nécessaires à la vie de l’espèce restent les mêmes ; il n’en résulte que l’incompatibilité du sujet avec le milieu ambiant, lorsque ce milieu est une agrégation de plusieurs familles, car tant qu’il s’agit d’une seule famille les sentiments égoïstes suffisent.

  1. Virgilio, la Fisiologia et la Patologia della mente. Caserta, 1883.