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saires du positivisme ont dû reconnaître que l’hérédité « se montre plus agissante à mesure que les phénomènes sont plus voisins de l’organisme, qu’elle est très forte dans les actes réflexes, les cas de cérébration inconsciente, les impressions, les instincts ; décroissante et de plus en plus vague dans les phénomènes de sensibilité supérieure…[1] ». L’hérédité criminelle trouve donc sa place toute marquée dans ce cadre tracé par un spiritualiste. Si le crime est la révélation du manque de cette partie du sens moral, qui est la moins élevée, la moins pure, la moins délicate, la plus voisine de l’organisme, le penchant ou la prédisposition au crime doit bien se transmettre par hérédité comme tous les autres de ce genre. Il ne s’agit pas d’un phénomène de sensibilité supérieure, mais au contraire de la sensibilité morale la plus commune, qui doit être nécessairement absente chez les enfants de ceux qui en sont totalement dépourvus. Si l’on peut imaginer des exceptions à une loi biologique, qui s’étend à l’universalité des êtres, telle que la loi de l’hérédité, ce n’est pas ici, à coup sûr, qu’on pourra les trouver.

L’antiquité, qui manquait de nos statistiques, avait eu cependant l’intuition des grandes lois naturelles ; plus sage que nous, elle avait su les utiliser. Des familles entières étaient déclarées impures et proscrites. Il y aurait à faire ici une remarque assez singulière. On se souvient des malédictions bibliques qui s’étendaient jusqu’à la cinquième génération. La science moderne justifie cette limitation, puisqu’elle nous apprend qu’un caractère moral très marqué, dans le bien comme dans le mal, ne persiste pas dans une famille au delà de la cinquième génération, et c’est même ce qui peut expliquer en partie la déchéance de toutes les aristocraties[2].

La nature congénitale et héréditaire des penchants criminels étant ainsi établie, on ne s’étonnera plus des chiffres énormes de la récidive, que l’école correctionnaliste attribuait naïvement à l’état des prisons, et à la mauvaise organisation du système pénitentiaire. On a fait depuis l’expérience que le perfectionnement de ce système a été presque indifférent sur la proportion des récidivistes. La récidive est la règle, l’amendement du criminel n’est qu’une rare exception. Les chiffres officiels ne peuvent pas nous dire toute la vérité, parce que les délinquants de profession apprennent plus facilement à se sauver de la justice ; que souvent ils cachent leurs noms ; et enfin que les codes limitent la récidive à des cas particuliers, quelquefois la récidive spéciale, d’autres fois la récidive après une condam-

  1. Caro, Essais de Psychologie sociale, Revue des Deux-Mondes, 15 avril 1883.
  2. Ribot, L’Hérédité psychologique. Paris, 1882.