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devait être jugé civilement, et non par une cour martiale. Néanmoins il ne pouvait comprendre que son action fut un crime.

« Il avait incendié mon fort, que devais-je faire ? l’en remercier ? » répondait-il à toutes mes objections.

Akim Akimytch avait raison ; il avait usé du droit de guerre, en punissant une trahison par la mort. L’exécution avait été méritée. Seulement son ignorance lui avait fait croire qu’il était autorisé à tenir conseil de guerre, juger et condamner régulièrement un brigand. Ce qu’il avait fait illégalement, à cause de son peu d’intelligence, qui ne lui permettait pas de connaître les bornes de son autorité, un conseil de guerre, convoqué dans les formes légales, l’aurait fait probablement de même ; le petit prince tributaire n’aurait pas échappé à la fusillade.

Voilà, si je ne me trompe, les seuls trois exemples d’honnêtes et braves gens que Dostojewsky ait rencontrés dans ses longues années de réclusion, les seuls qui ne lui inspirèrent pas de dégoût, qui devinrent ses amis, qui n’avaient rien du cynisme et de la frappante immoralité des autres. Ils n’avaient pas les caractères des criminels, tout simplement parce qu’ils n’étaient pas du nombre, parce qu’ils n’avaient fait que désobéir à la loi, sans être coupables de ce qui, à notre point de vue, forme le vrai crime. On voit comment ces exceptions confirment la règle, et quel appui elles donnent à notre théorie du délit naturel et à celle du type criminel.

III

Nous ne nous arrêterons pas à certains symptômes d’ordre psychophysique, tels que l’obtusité de la sensibilité générale, l’analgésie, la réaction vasculaire peu fréquente ; ce sont des recherches à peine commencées sur un nombre limité de sujets ; quoiqu’elles aient déjà donné des résultats très satisfaisants, il faut attendre encore pour pouvoir ajouter ces preuves à l’appui de notre théorie. Remarquons seulement que le degré inférieur de sensibilité pour la douleur parait démontrée par la facilité avec laquelle les prisonniers se soumettent à l’opération du tatouage.

Nous passons à un fait d’une évidence irrécusable : l’hérédité. On connaît à ce sujet des généalogies frappantes : celle de Lemaire et de Chrétien, par exemple, celle de la famille Yuke, comprenant 200 voleurs et assassins, 288 infirmes et 90 prostituées, descendus d’une même souche en soixante-quinze ans ; leur ancêtre, Max, avait été un ivrogne.