Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXIII.djvu/245

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
235
GAROFALO.l’anomalie du criminel

d’avoir, outre une ferme, de l’argent caché, il le tua pour entrer plus vite en possession de son héritage. Ce crime ne fut découvert qu’au bout d’un mois. Pendant tout ce temps, le meurtrier, qui du reste avait informé la justice de la disparition de son père, continua ses débauches. Enfin, pendant son absence, la police découvrit le cadavre du vieillard dans un canal d’égout recouvert de planches. La tête grise était séparée du tronc et appuyée contre le corps, entièrement habillé ; sous la tête, comme par dérision, l’assassin avait glissé un coussin. Le jeune homme n’avoua rien ; il fut dégradé, dépouillé de ses privilèges de noblesse et envoyé aux travaux forcés pour vingt ans. Aussi longtemps que je l’ai connu, je l’ai toujours vu d’humeur très insouciante. C’était l’homme le plus étourdi et le plus inconsidéré que j’aie rencontré, quoiqu’il fût loin d’être sot. Je ne remarquai jamais en lui une cruauté excessive. Les autres détenus le méprisaient, non pas à cause de son crime, mais parce qu’il manquait de tenue. Il parlait quelquefois de son père. Ainsi, un jour, en vantant la robuste complexion héréditaire dans sa famille, il ajouta : « Tenez, mon père, par exemple, jusqu’à sa mort, n’a jamais été malade. » Une insensibilité animale portée à un aussi haut degré semble impossible : elle est par trop phénoménale. Il devait y avoir là un défaut organique, une monstruosité physique et morale inconnue jusqu’à présent à la science, et non un simple délit. Je ne croyais naturellement pas à un crime aussi atroce, mais des gens de la même ville que lui, qui connaissaient tous les détails de son histoire, me la racontèrent. Les faits étaient si clairs, qu’il aurait été insensé de ne pas se rendre à l’évidence. Les détenus l’avaient entendu crier une fois pendant son sommeil : « Tiens-le ! tiens-le ! coupe-lui la tête ! la tête ! la tête ! »

« Presque tous les forçats rêvaient à haute voix ou déliraient pendant leur sommeil ; les injures, les mots d’argot, les couteaux, les haches revenaient le plus souvent dans leurs songes. « Nous sommes des gens broyés, disaient-ils, nous n’avons plus d’entrailles, c’est pourquoi nous crions la nuit. »

Cette impossibilité de remords ou de repentir ainsi que la vanité et l’amour exagéré pour la tenue sont des caractères bien connus de tous les observateurs, et Lombroso a fait remarquer qu’ils rapprochent le criminel du sauvage. Mais il y a d’autres caractères plus frappants encore peut-être, qui complètent cette ressemblance, et qui en même temps sont communs aux enfants : « Les jours de fête, les élégants s’endimanchaient ; il fallait les voir se pavaner dans toutes les casernes. Le contentement de se sentir bien mis allait chez eux jusqu’à l’enfantillage. Du reste, pour beaucoup de choses, les