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GAROFALO.l’anomalie du criminel

dont je parle en ce moment[1]), il ne faut pas s’étonner de ce que ces anomalies soient moins frappantes dans la criminalité inférieure. D’abord, on n’est pas sûr que tous les auteurs de crimes selon la loi soient de vrais criminels d’après l’acception psychologique que nous avons donnée à ce mot[2]. Ensuite, il serait étrange qu’on remarquât des anomalies de la même importance chez les délinquants inférieurs. Ces derniers, en effet, ne font pas des types détachés ; ils se distinguent moins du commun des hommes ; on s’en aperçoit au moral, à ce que leurs crimes, tout en nous révoltant, ne nous paraissent pas absolument contraires à la nature humaine ; il peut nous arriver même de penser, en frissonnant, qu’en de certaines circonstances nous pourrions être poussés nous-mêmes à faire quelque chose de semblable. C’est une idée qui nous traverse la tête ; nous la repoussons avec frayeur, frayeur inutile, puisque, notre caractère étant donné, nous ne pourrions jamais avoir ce mouvement volitif que nous craignons, mais enfin le fait d’avoir eu même pour un instant l’idée de cette possibilité prouve qu’il y a des criminels que nous comprenons, qui sont donc moins éloignés, moralement, du commun des hommes ; quoi de surprenant alors que même au physique ils ne présentent pas des traits marqués de dégénérescence ? Mais que l’anomalie soit moindre, cela ne veut pas dire qu’elle soit tout à fait imperceptible. L’expression méchante, ou cette mauvaise mine indéfinissable qu’on est convenu d’appeler patibulaire est très fréquente dans les prisons. Il est rare d’y trouver quelqu’un aux traits réguliers, à l’expression douce ; la laideur extrême, la laideur repoussante, qui n’est pourtant pas encore une vraie difformité, est très commune dans ces établissements, et, chose remarquable, surtout parmi les femmes. Je me souviens d’avoir visité une prison de femmes où, parmi 163 détenues, je n’en ai trouvé que trois ou quatre avec des traits réguliers, et une seule qu’on aurait pu dire jolie ; toutes les autres, vieilles ou jeunes, étaient affreusement laides. On conviendra qu’une pareille proportion de femmes laides n’existe dans aucune race, ni dans aucun autre milieu. La même remarque a été faite par M. Tarde : « Il est certain, dit-il, que par son front et son nez rectiligne, par sa bouche étroite et gracieusement arquée, par sa mâchoire effacée, par son oreille petite et collée aux tempes, la belle tête clas-

  1. Voilà peut-être la raison pour laquelle certaines anomalies crâniennes absolument dégénératives, telles que le front fuyant et le prognathisme, ont été trouvées en proportions bien plus grandes parmi les morts que parmi les détenus vivants. C’est que les premiers, ayant été suppliciés, étaient tous ou presque tous de grands criminels, pendant que parmi les autres il y avait sans doute un grand nombre de criminels inférieurs ou de simples révoltés.
  2. Voir Revue philosophique, no  du 1er janvier 1884.