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ANALYSES.l. noiré. Logos.

l’intelligence pour donner au son la couleur qui le fait être compris et être signe du souvenir. Les consonnes ont le premier rôle, à ce qu’il semble, dans la coloration des mots. Mais comment les cris primitifs ont-ils pris cette « couleur consonnante ? Comment les mots (et c’est le même problème), qui étaient d’abord purement indicatifs, sont-ils devenus prédicatifs, attributifs ?

Le signe doit, pour prendre l’attribut, être représenté pour soi et être lié avec une autre représentation (le vieil oïl français, hoc est illud). Mais ce n’est pas l’activité elle-même, c’est le produit de l’activité qui fournit l’élément représentatif. Les vieilles racines signifient l’activité commune créatrice caractérisée par ses effets. L’homme a franchi le pas difficile et créé l’attribut, le général, quand il a dit en voyant son ouvrage : « Nous avons fait cela. » L’objet seul, semble-t-il, aurait dû recevoir l’attribut. Mais l’objet vu est compris comme action voulue. De ces trois termes, cela est forme d’espace, cela est devenu, cela est volonté, ce dernier l’emporte. Le cri humain a manifesté immédiatement la volonté. « Nous creusons, nous tissons, » est devenu le prédicat, et c’est le verbe. À l’origine, chaque mot était attributif ; puis le cri, le son fut seul attributif, tandis que le sujet, le particulier qui recevait l’attribut restait hors de la désignation verbale ; enfin le son s’unit avec la chose, et les noms de genre, les concepts substantifs furent créés.

Ces concepts sont donc nés de l’attribution.

La langue a produit une activité nouvelle de l’esprit et désormais la fantaisie, écolière d’abord de la volonté, est devenue son héritière. Si l’objet de l’intuition réelle n’était devenu concept, nous en serions encore à chercher sous le mot maison une maison déjà vue, comme le chien cherche les traces de son maître parmi d’autres traces. Le concept est comparable à la monnaie ; il a dû perdre le caractère sensible pour devenir la matière de la pensée ; l’argent et le concept n’ont plus à la fin qu’un caractère quantitatif et pour qualité celle de pouvoir être échangés.

Il est incroyable, et vrai pourtant, que le son a été prédicatif avant d’être démonstratif. Nommer, c’est reconnaître le même. Où réside donc le secret de la différence entre trou et ce trou-là ? Max Müller pense que les gestes ont été soutenus par des sons inarticulés, qui ont pris aussitôt une valeur démonstrative. Noiré rejette cette interprétation comme contraire aux idées maîtresses du grand linguiste dont il suit le plus souvent les leçons. Les démonstratifs ici, là, dit-il, ne se comprennent que par rapport au sujet. Le mouvement de creuser rappelle le trou, et la représentation du trou rappelle l’acte de creuser. Ainsi se forme le concept général. Mais les particules démonstratives sont affranchies de la volonté ; elles s’attachent au produit ; elles le déterminent dans l’espace par rapport au sujet et elles se distinguent à la fois par une généralité plus grande et par une individualisation. C’est, en définitive, l’entrée du facteur subjectif qui permet de rapporter le gé-