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salité en a été l’agent. La causalité est liée à notre activité, et notre activité se révèle à nous par ses effets. L’effet devient l’image, ce qui dure, ce qui est limité. L’oiseau qui bâtit son nid n’en a pas la représentation. Le nid achevé, l’activité a disparu ; pour lier ensemble ces deux faits, il reste le signe-souvenir. Le son devient ce signe en vertu du principe associatif. Il fallait, en définitive, pour que la langue et la connaissance avec elle pussent s’élever, que l’intérieur fût extériorisé, ce qui explique l’emploi des sons comme signes, et que l’extérieur fût intériorisé, c’est-à-dire que le monde extérieur se fit images et représentations et devint ainsi matière du souvenir.

La naissance du concept reste le fait capital, ou plutôt le fait central, dont il importe de se rendre compte. Le fond du langage, c’est l’activité, c’est l’intérêt que prend l’homme au travail de l’homme. L’acte même de manger n’a été nommé qu’autant que l’intérêt général s’y est porté. Le nombre des objets de l’activité humaine a augmenté en raison de l’intérêt social et de la richesse des mots les désignant ; le nombre des objets désignés et compris s’est accru en raison du développement de l’activité sous l’impulsion de l’intérêt social. Telle est la loi des effets alternes. Combien puérils les linguistes qui veulent entendre, dans le mot dont nous faisons usage, le bruit d’un lointain coup de tonnerre ! Le sophiste Gorgias, dans le Cratyle, refuse aux mots de pouvoir rien représenter, parce que, dit-il, on voit des couleurs, on entend des sons, et on ne les pense pas. Hume a nié, lui aussi, la réalité de ce qui est pensé. Kant a su faire voir enfin que la réalité, pour devenir objet d’expérience, doit entrer dans les formes relatives de la pensée, du Denken. Si donc les sceptiques ont raison d’attacher la connaissance aux signes mêmes, ils ne savent pourtant pas distinguer les signes comme simple moyen de réminiscence et les images comme matière de la connaissance.

L’indépendance du son à l’égard du monde visible en a fait le porteur du concept ; sa valeur sympathique en a fait un excellent moyen de communication entre les hommes. Mais comment le son peut-il représenter les choses de la vue ? Herder a signalé déjà l’incommensurabilité de ces deux sens. Autre difficulté. Le son, le cri, est l’expression d’un état affectif qui entrave la pensée, et nous le chargeons d’être le signe et l’ouvrier de la pensée. Cette difficulté tombe, dès qu’on renonce à faire sortir les sons de l’éducation de l’oreille par les bruits du monde extérieur, dont il a fallu qu’elle s’isolât tout au contraire. La force du son répond à la catégorie de la quantité, sa hauteur à celle de la qualité, sa couleur à celle de la relation. Le son, en d’autres termes, est l’expression de la volonté, de la sensation, de la connaissance. Une brebis reconnaît son agneau à la couleur de la voix, à la modulation du cri, non à la quantité ou à la qualité, à la force ou à la hauteur du son. La langue chinoise, il est vrai, change le sens de ses racines par l’accentuation (hauteur) ; mais on peut croire que nos ancêtres n’étaient pas si avancés dans la musique des sons. Il a fallu l’entrée en scène de