Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXIII.djvu/207

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
197
ANALYSES.a. danten. De la Nature des Choses.

Ambroise Danten.De la nature des choses. La vie éternelle et universelle. Paris, 1886. 302 p.. in-12.

Le ton de ce livre annonce un esprit sincère, digne, réfléchi, qui a voulu se faire, en se fondant sur quelques études, une croyance générale. L’auteur est parvenu, après beaucoup d’autres, à la conception de « la vie éternelle et universelle », une vie des mondes, avec des croissances pénibles, de lentes agonies et des résurrections, sans terme possible dans l’infini des siècles et de la matière. Cette vie de l’ensemble comporte nos existences particulières, mais elle les limite, les détermine, et l’homme ne saurait plus croire à l’immortalité de la substance âme individuelle, ni détacher de la réalité des choses la figure immatérielle d’un dieu créateur.

M. Danten s’appuie sur quelques points fermes. Il reconnaît, par exemple, dans l’état social la condition de la morale, et il sent aussi toute la valeur de l’activité humaine, prise en elle-même. Les destinées surnaturelles de l’homme, vers lesquelles on lui montre tant de chemins divers et contraires, ne sont, écrit-il, que « comme un hochet à l’enfant, pour solliciter son activité au bénéfice d’effets plus réels ». Et il poursuit : « J’ai remarqué alors que ce qu’il y a de plus constant dans les ardents efforts de l’humanité vers des objets qui lui échappent sans cesse, ce sont ces efforts eux-mêmes et le mouvement qu’ils engendrent ; que l’homme d’ailleurs éprouve un insatiable besoin d’exercer ses facultés dans tous les sens, qu’il faut à tout prix qu’il s’agite ; qu’il soit en continuel travail d’enfantement, quel qu’en soit le résultat, fût-ce l’erreur ; que c’est tellement là son état normal, que le repos, qui est la négation de cette tendance invincible, lui pèse plus à la longue que les tourments les plus violents, mais passagers ; que, pour lui, il vaut mieux errer que s’arrêter car errer, c’est encore marcher ; s’arrêter, c’est mourir. »

Mais la justesse de bien des vues particulières de l’auteur concernant l’homme moral et l’homme civil, la famille, la patrie, la guerre, etc., ne dépend pas de la vue générale où il s’est placé. À l’exemple de la plupart des métaphysiciens, M. Danten s’est posé des dilemmes arbitraires, dont les termes répondent à des aspects de notre pensée et non pas sans doute à des aspects du monde ; ou du moins ces dilemmes sont de simples positions logiques, avec lesquelles on peut jouer tant qu’on voudra, sans grand profit sous le rapport de la certitude. Du reste M. Danten n’a prétendu faire, nous dit-il, ni un livre de science, ni un livre d’art, et il n’a voulu que « mettre en ordre ses propres rêveries ». Mais les rêves qui dépassent la science sont d’abord, il n’y prend pas assez garde, une œuvre d’art, et le grand public y demande l’habileté de main de l’artiste pour en jouir et pour s’y intéresser.

L. A.