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ANALYSES.de lanessan. L’expansion coloniale.

ce moment, questions politiques et financières, questions industrielles et commerciales, questions d’émigration et d’acclimatement. Nous nous contenterons de dire un mot du plus important parmi tous les problèmes étudiés par l’auteur, celui qui est relatif au peuplement, ou plutôt à l’exploitation des colonies.

On sait que la plupart de nos établissements sont situés sous la zone torride, c’est-à-dire dans la partie du globe où les rayons du soleil, tombant d’aplomb à la surface de la terre, rendent l’existence pénible aux émigrants venus de France, qui, habitués à recevoir le rayonnement solaire sous des incidences plus obliques, moins directes, correspondant par suite à des températures beaucoup plus douces, ont à souffrir énormément de la chaleur tropicale. M. de Lanessan croit, et son titre d’ancien médecin de la marine lui donne ici une compétence toute particulière, que le Français n’arrivera que bien difficilement à s’acclimater entièrement dans la « zone brûlée », que jamais il n’arrivera pleinement à y vivre, à y travailler, à y faire souche[1].

Dans de semblables pays, l’Européen a assez à faire à lutter contre le climat, contre le milieu toxique qui l’environne : tout effort lui est interdit sous peine de mort. On ne peut lui demander ni de construire des maisons, ni de creuser des canaux, ni de percer des routes, ni de tracer des voies ferrées. D’un autre côté, tant que ces travaux « de premier établissement > ne seront point achevés, l’exploitation économique des colonies restera dans l’enfance : les voies de communication sont à un peuple ce que les artères sont à l’être vivant ; seules elles ont assez de puissance pour apporter aux pays qu’elles traversent la vie, la richesse.

Dans ces conditions, ne serait-il pas possible d’organiser pour nos possessions maritimes un corps de pionniers coloniaux, dont les membres, à la fois ouvriers et soldats, maniant aussi bien la pioche que le fusil, attaquant la terre tout en se défendant contre l’indigène, feraient rapidement avancer l’œuvre de la colonisation nationale ? Il ne saurait être question d’astreindre par la voie du sort les enfants de France à aller, malgré eux, malgré les vœux de leurs familles, féconder ces terres lointaines au prix de leur santé et de leur bien-être. Mais cette

  1. Au moment où ces lignes venaient d’être écrites, j’ai eu l’occasion de prendre connaissance d’un livre publié par le Dr Orgeas, la Pathologie des races humaines et le problème de la colonisation (Paris, 1886. Octave Doin, éditeur), qui renferme la démonstration scientifique du non-acclimatement des Européens dans la zone torride. L’auteur pose en fait que l’homme est et ne deviendra jamais un être cosmopolite ; chaque race, d’après lui, a son habitat circonscrit : le nègre a le sien, le blanc a le sien, et l’un ne peut empiéter sur le domaine de l’autre sans altérer sa santé ni compromettre sa descendance. Pour le dire en passant, je crois qu’il y a là une exagération : il nous est permis d’être affirmatif sur le présent ; mais, logiquement, pouvons-nous répondre de l’avenir ? L’acclimatement n’est peut-être qu’un problème de science et de patience. Je dois dire d’ailleurs que le livre du docteur Orgeas, malgré d’assez nombreuses redites, m’a paru intéressant à lire.