Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXIII.djvu/202

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
192
revue philosophique

croire à son origine transcendante ; comment il s’applique avec un soin extrême à l’examen de la question de la justice, comme si du succès de ses recherches dépendait la confirmation plénière de sa doctrine. Il constate que la doctrine de Stuart Mill est vraiment originale, qu’elle marque un réel progrès sur celle de Bentham, et que son originalité tient surtout à l’emploi constant qu’il fait de la grande loi d’association pour l’explication des phénomènes moraux. Enfin il montre que Stuart Mill est un positiviste qui adopte la loi des trois états et la croyance aux progrès de la science et du bonheur, mais qui fait subir au positivisme une transformation radicale en substituant aux propriétés de la matière, seule la réalité connaissable pour les comtistes, les sensations et les possibilités de sensations, en laissant des questions ouvertes ; en conservant, comme le dit M. Carrau, un minimum de théisme, c’est-à-dire d’un être d’un pouvoir grand, mais limité, d’une intelligence étendue et peut-être infinie.

En résumé, on souhaiterait que M. Lauret eût fait moins de part à la critique ; qu’il eût, dans son exposition, tenu compte de l’éducation que reçut Mill et des transformations qu’a subies sa pensée. Il aurait ainsi donné de la philosophie de Stuart Mill une exposition définitive dont il a d’ailleurs réuni les matériaux dans son ouvrage.

F. Picavet.

J. L. de Lanessan. — L’expansion coloniale de la France. Un vol.  in-8o de 1000 pages. Paris, 1886, Alcan, éditeur.

La terre, a-t-on dit, appartiendra au peuple qui la connaîtra le mieux : cet aphorisme, s’il est fondé, et il n’y a aucune raison d’en douter, est pour nous d’un heureux augure ; car, depuis quelques années, les ouvrages relatifs aux colonies et à la question coloniale se multiplient en France. Sans parler des nombreuses Notices du ministère de la marine, auxquelles fait pendant l’Atlas colonial, nous avons eu la Colonisation scientifique de M. le docteur Bordier (1884), les Lettres sur la politique coloniale, écrites par M. Yves Guyot (1885), deux ouvrages qui, par leur caractère opposé, résument tous ceux qui ont paru sur la matière, l’un s’efforçant de tracer la voie aux explorateurs et donnant aux colons de salutaires conseils, le second instruisant le procès de la politique coloniale, dont il condamne sans retour les procédés dans ses conclusions. On a reproché au livre de M. Bordier de n’être pas assez complet, au livre de M. Yves Guyot d’être avant tout un ouvrage de polémique courante : le livre de M. de Lanessan n’encourra, je crois, ni l’une ni l’autre de ces critiques. C’est un traité didactique de longue haleine, dénotant à la fois un géographe émérite et un sociologiste éminent ; c’est une œuvre impartiale, pleine de documents, où iront puiser tous ceux qui de près ou de loin s’intéressent au présent et à l’avenir de nos possessions d’outre-mer.