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fort différents. D’ailleurs M. Lauret, qui attribue à Stuart Mill un certain nombre de contradictions que d’autres ont retrouvées en partie chez les stoiciens, dans Leibnitz et dans Platon lui-même (p. 427), qui dit de sa doctrine qu’elle soulève à la fois les protestations de la science et de la conscience, du bon sens et de la logique, affirme en concluant que Stuart Mill a exprimé, dans la philosophie pratique, une foule de vérités utiles, justes et parfois profondes ; que l’amour de l’humanité a été l’inspirateur de tous ses écrits et le moteur de sa vie ; que son souvenir vivra comme celui d’une intelligence supérieure, d’un homme bienveillant, sincèrement dévoué aux réformes sociales ; qu’il a bien analysé la puissance de l’association et mis en lumière un facteur important de la vie mentale, l’habitude ; qu’il restera comme un représentant illustre de l’empirisme contemporain, auquel reviendra l’honneur d’avoir enrichi la philosophia perennis de deux données nouvelles, l’habitude et l’hérédité. Quelle belle revanche un partisan de Mill, usant de l’argument des contradictions, pourrait prendre des critiques de M. Lauret ! Bornons-nous à constater, en terminant l’examen de cette partie de l’ouvrage, que M. Lauret a tenté, tout en relevant et en critiquant vivement ce qui lui paraissait contraire aux doctrines spiritualistes, de mettre en lumière ce qui lui semblait original et propre à être introduit dans le spiritualisme lui-même. Et il faut reconnaître qu’il y a souvent réussi.

Mais la première partie nous semble de beaucoup plus importante. Faire connaître la philosophie d’un penseur qui a eu en Angleterre et même en France une influence considérable, en montrer les origines, le développement et les phases diverses, c’est une œuvre fort utile, qui peut être aujourd’hui entreprise et menée à bonne fin. M. Lauret eût pu, dans un premier chapitre, qui n’eut pas été le moins intéressant du livre, montrer comment Stuart Mill a pénétré en France et est actuellement cité, souvent fort longuement, dans les manuels de philosophie. Dès 1859, Charles de Rémusat faisait connaître dans la Revue des Deux Mondes le livre de Mill sur la Liberté ; l’année suivante, Dupont-White le traduisait. En 1863, M. Taine exposait sa doctrine philosophique dans un article de la Revue des Deux Mondes, qui devint ensuite un volume de la Bibliothèque de philosophie contemporaine. La Revue nationale donnait, en 1865, une traduction de l’Utilitarisme ; l’année suivante, la Logique, qu’Aug. Comte avait peut-être été le seul à lire en France au moment de son apparition, était traduite par Louis Peisse. Dès 1864, M. Lachelier l’avait fait connaître et apprécier à l’École normale ; M. Ravaisson, dans son rapport sur la Philosophie en France au xixe siècle, faisait une place considérable à Stuart Mill. M. Janet examinait, en 1869, dans la Revue des Deux Mondes la polémique de Mill contre Hamilton. En 1870, M. Ribot exposait la psychologie de Mill ; il en facilitait l’intelligence en en montrant les sources et en faisant connaître le mouvement philosophique dont Mill avait été l’un des auteurs, et dont, en France, on soupçonnait à peine l’importance. Le succès de l’ouvrage, qui avait en