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ANALYSES.h. lauret. Philosophie de Stuart Mill.

à coup sûr un scrupule fort honorable, et il serait à souhaiter de le trouver chez chacun de ceux qui entreprennent de critiquer des doctrines qu’ils croient fausses, car ils seraient amenés ainsi à prêter beaucoup moins d’absurdités à leurs adversaires ; mais on ne peut nier qu’après avoir lu 263 pages d’exposition, on ne soit exposé à trouver une certaine monotonie dans les 182 pages de critique, à cause même des répétitions auxquelles est obligé l’auteur.

Nous n’insisterons pas, d’ailleurs, sur cette dernière partie. M. Lauret a reproduit à peu près toutes les critiques qui ont été adressées à Stuart Mill — et l’on sait si elles sont nombreuses — en leur donnant une forme systématique. Rendons-lui d’abord cette justice qu’il n’a pas pris à son compte certaines critiques, aussi paradoxales que peu justifiées, de Stanley Jevons, qui voit en Stuart Mill un esprit essentiellement illogique. « Nous croyons, dit fort bien M. Lauret, que cette sévérité est excessive, et que M. Jevons exagère et tombe dans le défaut dont Stuart Mill n’a pas su se défendre en examinant la philosophie d’Hamilton. » Stuart Mill a relevé de si nombreuses contradictions dans les idées d’Hamilton qu’il ne pourrait guère se plaindre de celui qui chercherait à en relever dans ses propres œuvres. Mais M. Lauret ne croit pas à coup sûr qu’il suffise de trouver deux ou trois phrases qui paraissent être ou qui soient même réellement en contradiction avec une grande doctrine, pour la déclarer fausse. Ne convient-il pas plutôt, en pareil cas, de donner à ces phrases un sens qui ne contredise pas le système, si le texte le permet, ou, dans le cas contraire, de les laisser de côté pour examiner le système lui-même ? M. Lauret ne reproche pas à Stuart Mill d’enlever à la société le droit de se défendre par la prison ou autrement contre des malfaiteurs obéissant à des mobiles qui les entraînent (p. 297) ; il reconnaît que ses recherches pour construire une théorie empirique de la connaissance n’ont pas été perdues, car il a montré la puissance magique de l’habitude dans notre vie psychologique (p. 299). Mais quand il affirme que c’est assurément trop présumer de la puissance des habitudes mentales, de prétendre qu’elles peuvent produire une inséparabilité d’idées absolues, quand il croit l’établir en disant que la conception d’un esprit pur n’a rien pour nous de contradictoire, est-il bien sûr d’avoir raison autant qu’il le pense ? Qu’il s’adresse aux gens d’un esprit peu cultivé, et il verra qu’il est presque impossible de leur faire concevoir l’idée d’un esprit pur : les sauvages et les ignorants ne matérialisent-ils pas l’âme et Dieu ? Que si, au contraire, il s’agit d’esprits cultivés, l’objection ne vaut guère davantage, car l’expérience n’a pas toujours associé les deux idées : nos maîtres, nos parents, nos livres nous ont parlé fort souvent d’un esprit pur. Et nous laissons de côté la part de l’hérédité ! Quant aux critiques que M. Lauret dirige contre la morale et la religion de Stuart Mill, nous le renvoyons au livre de M. Beaussire sur le Principe de la morale et à l’article de M. Carrau sur le Dualisme de Stuart Mill (Rev. ph., VIII, 138) qui, inspirés cependant par des croyances spiritualistes, contiennent des jugements