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ANALYSES.e. rabier. Leçons de philosophie.

remarquer fort justement, quoique sous une forme un peu agressive pour les professeurs de philosophie, qu’en fait, l’éducation empiète toujours plus ou moins sur la liberté de l’enfant, puisqu’elle lui impose, par définition, certaines manières d’agir et de penser à l’exclusion de certaines autres. M. le Dr Bérillon a rappelé que l’on peut par suggestion interdire à un sujet de recevoir les suggestions d’un autre, et par conséquent soustraire l’enfant à l’action des personnes dont on aurait lieu de suspecter les intentions. Un autre médecin a laissé entrevoir que les pouvoirs publics pourraient être amenés à réglementer la pratique de l’hypnotisme, dont on ne saurait sans danger laisser la libre disposition aux empiriques et aux incompétents ». Enfin M. le président Félix Hément, ayant condensé et confirmé toutes ces raisons, pendant que le Dr Netter s’appliquait à montrer que l’emploi de l’hypnotisme comme agent de modification des habitudes vicieuses est conforme au spiritualisme cartésien, la section a voté, à l’unanimité moins une voix, un vœu tendant à ce que « des expériences de suggestion hypnotique soient tentées, dans un but de moralisation et d’éducation, sur quelques-uns des sujets les plus notoirement mauvais et incorrigibles des écoles primaires ». — Quand je dis que cette discussion me paraît à peu près oiseuse, je n’entends pas dire par là que les orateurs qui y ont pris part n’aient pas émis des idées justes et abouti à un vote important ; il me semble seulement que M. Blum les a entraînés sur une fausse piste et que le temps qu’on a consacré à le suivre, soit pour le molester, soit pour le rallier sur le terrain des scrupules moraux, aurait été mieux employé à serrer de plus près la note du Dr Bérillon et à demander à l’auteur, avant de voter, les explications complémentaires dont sa communication a besoin et qu’il était sans doute prêt à fournir.

Les membres de la section étant unanimes à protester de leur respect pour la personnalité et la liberté de l’enfant en général, M. Blum aurait pu les tenir quittes du reste. Lui-même, j’imagine, ne s’en fait pas accroire sur la liberté morale de l’enfant pervers et détraqué, seul en cause, et il ne soutiendrait sans doute pas sérieusement qu’on doit laisser en tout cas cet enfant croupir dans un état mental pitoyable, pathologique par hypothèse, plutôt que de transformer en mieux sans son concours et à son insu, si réellement on le pouvait, toute son habitude psychique. Soutenir un pareil paradoxe, ce serait justifier à plaisir la défiance des savants contre le dogme de la liberté, car rien ne montrerait mieux combien ce dogme, entendu d’une certaine manière et opposé indiscrètement à des recherches positives où il n’a que faire, peut être vraiment incommode à la science et contraire au progrès dans la pratique. Imaginez que l’on puisse effectivement arriver à changer par suggestion les dispositions innées ou acquises d’un polisson dangereux, que penser d’une théorie qui nous interdirait de le faire au nom du respect dû à la personnalité de ce jeune gredin ? On devra demain, après quelque méfait irréparable, l’enfermer dans une maison de correction,