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que j’estime suffisantes que je crois aux sciences ; mais s’il n’y a pas de raisons suffisantes ou même s’il n’y a pas de raisons du tout ?

Ce principe de raison a d’autant plus d’importance que ce n’est pas seulement la logique appliquée qui repose sur lui, mais la logique formelle même. M. Rabier, en effet, semble bien encore faire dépendre le syllogisme des principes ordinaires d’identité, de contradiction et du tiers exclu, mais il ne peut s’empêcher, suivant en cela une tendance que nous avons déjà remarquée chez Lotze[1], de fonder le syllogisme sur le principe de raison toutes les fois qu’il veut le soustraire à la critique de Mill. Il est de toute évidence, en effet, surtout si l’on base la théorie du syllogisme sur les rapports de compréhension, comme l’a fait M. Rabier, que le principe qui nous force d’affirmer ou de nier le petit terme du grand n’est pas un principe d’inclusion ou d’exclusion, tel que le principe d’identité, mais un principe d’attribution qui fait sortir la conclusion des prémisses où elle n’était nullement contenue. Il ne faut pas, disaient les logiciens du xve siècle, que la conclusion soit plus étendue que les prémisses et en un sens ils avaient raison, mais en un sens aussi ils avaient tort, car la conclusion doit être autre (ἕτερον τι, dit Aristote) que les prémisses, sous peine de n’être plus qu’une insipide tautologie et de donner prise à toutes les attaques de Mill. Or, c’est bien ainsi que l’entend M. Rabier (V. p. 66, note 2 ; p. 80 ; p. 81, note 1).

Mais si la conclusion est autre que les prémisses, ce ne peut être en vertu du seul principe d’identité qu’elle s’en déduit, elle est une conséquence dont les prémisses sont la raison. C’est donc le principe de raison qui domine la syllogistique tout entière. M. Rabier a certainement vu cette conséquence. Peut-être a-t-il hésité à bouleverser tous les principes admis. Nous le regrettons sincèrement. C’était une entreprise digne de son esprit hardi et net de pousser jusqu’au bout les conséquences de ses innovations et de nous donner un chapitre substantiel sur les principes du syllogisme.

Quoi qu’il en soit, le principe de raison reste le fondement de la Logique tout entière et, si l’on en peut douter, on peut douter non seulement de toutes les vérités scientifiques mais de la valeur même de l’esprit. Il est donc très important de savoir si la théorie de M. Rabier sur la formation de ce principe est satisfaisante.

Nous avons déjà dit comment, d’après l’auteur, le principe se serait formé. L’esprit, à la vue d’une première régularité, se serait dit : Il y a donc quelques séries régulières. La cause produit l’effet, je le sais par moi-même, par ma volition ; la même cause produirait-elle toujours le même effet ? Voici une autre série régulière, une autre, une autre encore, ma croyance se confirme. Les mêmes causes produisent les mêmes effets. Il est vrai que j’aperçois des irrégularités ; la perception de ces irrégularités, d’après l’hypothèse, devrait avoir une cause. En a-t-elle

  1. Revue philosophique, juillet 1886, p. 634.