doutait s’il ne s’était pas trompé en nombrant les côtés d’un carré. Toute opération discursive de l’esprit est sujette à erreur, car l’esprit humain est toujours faillible, même en se servant d’instruments infaillibles par eux-mêmes.
Que sera-ce quand les instruments ne sont pas d’une infaillibilité assurée ou quand les objets auxquels on les applique ne se laissent pas complètement saisir ? C’est le cas pour toutes les sciences de la nature. Aussi la possibilité de l’erreur est-elle ici bien plus grande. Quelle est la loi de la nature qui est absolument et rigoureusement démontrée ? Ainsi, dans aucun domaine, ni dans celui des sciences mathématiques, ni dans celui des sciences de la nature, aucune proposition n’est si absolument certaine qu’elle exclue toute chance d’erreur. Voilà ce que dit M. Rabier et ce que volontiers nous dirions avec lui. S’ensuit-il que nous soyons sceptiques ? Examinons.
Le sceptique est celui qui doute de la valeur de l’esprit. Or, nous ne doutons pas de la valeur de l’esprit en lui-même, mais de sa correcte application. Nous croyons même que l’esprit peut toujours éviter l’erreur par une suspension motivée du jugement. Mais la pratique nous réclame et nous force de nous décider. Nous nous décidons alors selon la probabilité qui nous paraît la plus grande et nous faisons sagement. D’ailleurs les confirmations expérimentales, la résistance aux assauts de la critique, élèvent la probabilité à un si haut point dans les sciences, que cette probabilité est un équivalent pratique de la certitude. Nous agissons donc comme si nous étions absolument certains et notre action finit de nous donner la certitude que peut-être nous n’avions pas. La question de la certitude est d’ordre pratique et moral plus que logique ; c’est ainsi que l’entend M. Rabier et c’est ainsi que l’entendent même la plupart des dogmatiques. L’imposibilité absolue du doute ne peut être érigée en critérium. On peut douter de toutes les vérités scientifiques, mais il ne serait pas raisonnable d’en douter. Le bon sens soutient ici la raison raisonnante. C’est ce que reconnaissait Malebranche quand il définisait la vérité évidente « celle que nous ne pouvons nier sans une peine intérieure et des reproches secrets de la raison ». Est-ce être sceptique de soutenir qu’on pourrait l’être à la vérité et non sans raisons, mais que les raisons qu’on en aurait ne seraient pas de bonnes raisons ?
Mais si l’on insistait et si l’on disait : Sans doute on n’est pas sceptique si l’on se décide toujours pour les bonnes raisons contre les mauvaises, mais au moins faut-il croire à la raison et à son principe fondamental, au principe de raison ou de causalité ? Nous avouons qu’ici nous ne saurions plus comment continuer à défendre M. Rabier. En effet, sa théorie psychologique du principe de raison et sa théorie de l’induction ne nous montrent dans ce principe qu’une hypothèse de la plus haute probabilité, mais qui peut toujours offrir prise au doute. Ce doute est négligeable, dit M. Rabier. Qu’en sait-il ? Il est négligeable s’il le néglige ; mais s’il ne le fait pas, qu’arrivera-t-il ? C’est pour obéir à des raisons