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(p. 377)… Un temps vient où la vérité ne peut plus de bonne foi se contester. Qui doute aujourd’hui qu’il y ait eu en Grèce un philosophe qui s’appelait Socrate, que le soleil soit plus gros que la terre, et que les angles d’un triangle sont égaux à deux angles droits ?… Si donc les difficultés de la science et la constante menace de l’erreur sont bien faites pour nous engager à la modestie, d’autre part l’enfantement progressif de la science et la patiente conquête de la vérité suffisent pour encourager nos efforts et nous sauver du scepticisme. C’est tout ce qu’il nous fallait. »

C’est sur ces paroles pleines d’une modestie confiante que se termine ce livre qui marquera dans l’histoire de la philosophie en France et dont nous n’avons pu donner qu’un faible aperçu. Aussi bien tous ceux qui aiment à philosopher voudront le lire et, après l’avoir lui, l’étudier. Nous ne pouvons cependant laisser passer un ouvrage de cette valeur sans tâcher d’en dégager la pensée maîtresse et présenter aux lecteurs les observations qu’elle nous suggère.

Cette pensée ne serait-elle pas renfermée dans les dernières pages du livre et dans les lignes mêmes que nous venons de citer ? L’esprit de l’homme est faible et ne peut jamais être assuré d’arriver à la vérité. Si l’on s’en tient à cette proposition, et M. Rabier la répète en vingt endroits, la pensée mère de cette Logique serait une pensée sceptique et nous ne serons pas étonné s’il vient à l’auteur de divers côtés des reproches de scepticisme. Il semble même avoir pris à cœur de les encourir. Sans parler du dernier chapitre, qui est capital, on peut voir, après l’exposé de chaque méthode, M. Rabier marquer avec une sorte de complaisance ce que chacune d’elles a d’insuffisant (V. p. 12 : analyse des concepts ; p. 32 : les règles logiques sur les jugements ne servent de rien ; p. 124 : imperfections de la méthode des coïncidences ; p. 135 imperfection pratique des méthodes d’exclusion ; p. 209 : imperfection des classifications, etc.). Nous avons vu cependant que M. Rabier fait profession de ne pas s’en tenir au scepticisme. Doit-on le ranger parmi les probabilistes ? Mais le probabilisme est-il si différent du scepticisme ?

Nous pourrions, pour laver M. Rabier du reproche de scepticisme serait-il bien noir par le temps qui court ? — arguer de sa théorie de la démonstration mathématique où il dit que les résultats en sont nécessaires et absolus (p. 272), mais nous croyons qu’il n’accepterait pas lui-même notre défense. Ne dit-il pas (p. 377) que les preuves arithmétiques elles-mêmes sont d’une haute probabilité, mais qu’elles n’atteignent pas la certitude absolue ? En effet, ce procédé correct de raisonnement a beau être infaillible, il ne l’est que s’il est correctement appliqué. Or, n’est-ce pas l’esprit de l’homme qui l’applique ? et l’esprit est-il infaillible ? S’il ne l’est pas, il ne peut jamais être démonstrativement sûr qu’il ne s’est pas trompé en faisant la démonstration. Ainsi donc la démonstration mathématique bien faite donnerait la certitude absolue. Mais quand est-on sûr, absolument sûr de l’avoir bien faite ? Descartes