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il généralise l’expérience, fait une induction. Comment peut-on légitimer ce passage du particulier à l’universel ? Quel est le fondement logique de l’induction ? M. Rabier résout le problème de l’induction de la façon originale, sinon entièrement satisfaisante, qu’on pouvait déjà prévoir, étant donnée sa théorie psychologique de l’induction. D’après lui l’induction est le résultat d’un principe inductif qu’il appelle le principe des lois ou avec Claude Bernard le principe du déterminisme. Ce principe peut se formuler de plusieurs façons, dont voici la plus usitée : les mêmes causes produisent toujours les mêmes effets, ce qui revient à dire que le cours de la nature est uniforme.

Quelle est maintenant la valeur objective du principe inductif ? Deux solutions opposées ont été données par l’empirisme et la théorie de l’innéité. M. Rabier n’accepte ni l’une ni l’autre, il croit que l’empirisme pur devrait ne trouver dans le monde que des successions irrégulières ; quant à la doctrine de l’innéité, tant qu’elle ne va pas jusqu’à dire que les sensations sont identiques à l’entendement, elle est impuissante à établir que les sensations se conforment toujours aux règles tracées par l’esprit. L’auteur propose donc une théorie moyenne qui dérive de cet empirisme intelligent qu’il a proposé en psychologie. Selon lui, le principe des lois est d’abord suggéré par l’expérience à l’esprit, transformé par l’esprit en une hypothèse, puis vérifié par l’intelligence. Ainsi la vue de plusieurs coïncidences suggère à l’esprit que ces coïncidences pourraient bien être constantes et l’esprit, examinant l’expérience, n’y trouve que des confirmations de son hypothèse. Aucune expérience ne vient et ne peut venir l’infirmer car si quelque chose dans le cours de l’expérience paraissait irrégulier on pourrait toujours assigner une cause à cette irrégularité apparente : notre ignorance des lois véritables de la nature.

M. Rabier n’ignore pas que des objections peuvent s’élever. D’abord on peut objecter à cette théorie qu’elle fonde l’induction sur une induction, qu’elle fait un cercle vicieux. En effet, le principe des lois qui sert à garantir l’induction est lui-même formé par induction. M. Rabier ne proteste que faiblement, il se contente de marquer une distinction assez spécieuse entre les inductions particulières qui donnent les lois et l’induction qui donne le principe, et si on lui demande ce que devient dans son hypothèse la certitude absolue de la science, il répond que la science n’a nullement besoin d’une certitude de ce genre. Un seul système, l’idéalisme, pourrait conférer à la science une certitude de ce genre, mais M. Rabier lui refuse toute créance : « Qui déduira jamais, dit-il avec plus d’esprit peut-être que de raison, qui déduira jamais d’une catégorie quelconque de la raison la saveur de la truffe, que d’ailleurs l’homme, l’animal raisonnable, n’est pas le seul à apprécier (p. 160). » Le résultat de cette discussion, c’est que le principe de l’induction a une valeur d’une probabilité très haute, pratiquement équivalente à la certitude, mais non théoriquement et absolument certaine.

Nous ne voulons pas pousser plus loin le détail de cette analyse. Con-