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au moment de la Renaissance, que la logique syllogistique a été ramenée à un jeu logique vide de pensée et purement mécanique. « Cette théorie a fort malheureusement remplacé et fait oublier celle d’Aristote, dont les preuves sont en même temps des raisons. Elle est certainement pour quelque chose dans le discrédit où la logique est tombée depuis le xviie siècle (p. 59)[1]. »

La première figure seule est-elle concluante par elle-même, ou les deux autres le sont-elles aussi ? M. Rabier emprunte ici les vues et la plume de M. Lachelier qui expose lui-même sa théorie dans des pages qu’on voudra lire et qui éclairent l’article profond publié par la Revue[2]. La première figure n’est pas la seule, comme le croyait Aristote, à donner par elle-même des conclusions démonstratives. La seconde et la troisième donnent aussi un certain nombre de modes parfaitement concluants et ces modes sont précisément ceux qu’Aristote avait découverts. — Il est permis de se demander pourquoi M. Rabier a admis qu’il y avait des inférences immédiates, puisqu’il adopte la théorie de M. Lachelier sur l’indépendance des figures. Dans son article sur le syllogisme, M. Lachelier a en effet montré que les inférences immédiates se ramènent toutes à une des trois figures, la subalternation à la première figure, la conversion à la troisième, et la contraposition à la seconde.

La logique formelle achevée, une question se pose fort discutée. Quelle est sa valeur ? M. Rabier critique l’opinion de Stuart-Mill et fait remarquer d’abord qu’il faut accorder à Mill qu’il est absurde de prétendre qu’une proposition particulière est prouvée par une proposition où elle serait identiquement contenue. « Au fond, dit M. Rabier, toute preuve est faite, non par la proposition alléguée comme preuve, mais par l’esprit lui-même qui, étant ce qu’il est, ne peut pas s’empêcher d’aller de cette proposition à une autre. Entre la preuve et la chose prouvée, le lien n’est pas une identité résidant dans les choses mêmes ; le lien, si vraiment preuve il y a, c’est l’activité même de la pensée qui se sert d’une chose comme point de départ et point d’appui, pour s’élever par un mouvement naturel et nécessaire à une autre chose. Tout syllogisme pourrait d’après cela se mettre sous cette forme ; si vous accordez telle chose a et telle autre chose b, la synthèse mentale ne peut être que c. Mais c n’est ni a ni b, ni mème partie de a ou de b (p. 81). »

  1. On voit par là que la logique abstraite et vide dont se sont moqués les cartésiens, n’est nullement la logique scolastique et traditionnelle. C’est au xve siècle que, sous prétexte de la simplifier et de la renouveler, on l’a appauvrie, comme sous prétexte d’enrichir la métaphysique, on l’a subtilisée et peuplée d’entités « prenant la paille des mots pour le grain des choses ». Au xviie siècle, les mots et les formules se sont conservés, mais ne sont presque plus entendus. Nous sommes si ignorants en France de l’histoire de la philosophie depuis Saint-Augustin jusqu’à Ramus, qu’il n’est pas inutile de prévenir les philosophes qu’ils risquent de se tromper beaucoup s’ils continuent, sur les traces de plusieurs maîtres, à confondre sans plus d’examen toute cette période de l’histoire sous le nom commun de scolastique.
  2. V. t.  I, p. 468, Mai 1876.