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seulement tolérée, mais plausible[1] ; du mariage entre frère et sœur dans les familles pharaoniennes, usage continué à l’époque des Ptolémées, qui pourtant étaient des Grecs. Existait-il seulement l’idée, avant Jésus-Christ, qu’on est obligé de rendre le bien pour le mal, de désirer même le bien de nos ennemis ? Il est vrai que ces principes de l’Évangile n’ont jamais pu s’enraciner nulle part à cause de la répugnance qu’ils ont rencontrée dans la nature humaine ; mais il n’en est pas moins vrai qu’ils dominent dans la morale chrétienne et ont été pratiqués par un grand nombre de personnes. Mais laissons là l’histoire et la géographie. Plaçons-nous au point de vue d’une société contemporaine. Que découvrirons-nous d’abord ? Des préceptes de conduite qui forment ce qu’on appelle les usages. Il y en aura de communs à toutes les couches sociales, et de spéciaux pour chaque classe, pour chaque association, pour chaque coterie. Tout est réglé, depuis les cérémonies les plus solennelles, jusqu’à la manière de saluer et de s’habiller, depuis les phrases qu’il faut dire dans certaines circonstances, jusqu’à l’expression qu’il faut se donner et aux inflexions avec lesquelles certains mots doivent se prononcer. Ceux qui se révoltent contre de pareilles règles sont appelés tantôt excentriques, tantôt ignorants, ridicules, ou mal élevés ; ils excitent l’hilarité ou la compassion, quelquefois le mépris.

Plusieurs choses permises dans une classe ou dans une association sont rigoureusement défendues ailleurs. Il arrive même qu’une manière d’agir ou un usage dépend du temps, de l’endroit, de l’heure qu’il est, du but de la réunion. C’est ainsi qu’une dame pourra se montrer décolletée à un dîner ou à une soirée, pendant qu’en faisant ses visites de la journée, elle devra se couvrir plus complètement ; c’est ainsi que, dans un bal, un cavalier qui vient de lui être présenté, lui prendra la taille pour valser, ce qu’il n’oserait faire en toute autre occasion sauf dans les expansions intimes de l’amour. Chacun de nos mouvements est dirigé par un usage établi, il n’y a presque aucune de nos actions qui ne soit soumise à quelque règle. Ce sont la tradition, l’éducation, les exemples continuels qui nous font suivre ces préceptes sans les discuter, sans en chercher la raison.

Mais au-dessus de toutes ces sortes de lois superficielles et spéciales, il y en a d’autres bien plus générales dont la force pénètre dans toutes les classes sociales, comme le rayon solaire qui traverse toutes les

  1. Solon défendait l’amour pour les jeunes gens à ceux qui n’étaient pas hommes libres, parce qu’il considérait cette sorte d’amour comme une application très belle et honorable. (Plutarque, Vie de Solon.)