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dit, dans la psychologie contemporaine. Cette solution consiste à substituer l’habitude à la mémoire.

Ceux qui prétendent expliquer la mémoire tout entière par l’habitude tiennent en quelque sorte une position intermédiaire entre les partisans de l’annihilation absolue des idées et les partisans des idées latentes. Ils ne croient pas que les idées en passant laissent table rase derrière elles ; ils admettent qu’il en reste quelque chose dans l’esprit, mais ce qu’il en reste ne serait, suivant eux, qu’une simple habitude, et non l’idée, même plus ou moins effacée. De l’habitude, ils font la seule matière et la seule clé de la mémoire.

Nous sommes loin de méconnaître le grand rôle de l’habitude dans la vie humaine en général et dans la vie intellectuelle en particulier. Mais il ne faut pas prendre l’habitude pour autre chose que ce qu’elle est, et lui demander ce qu’elle ne peut pas donner. L’habitude explique sans doute bien des choses, mais elle ne peut toute seule expliquer la mémoire.

Le rapprochement, sinon la confusion, de l’habitude et de la mémoire n’est pas chose nouvelle en psychologie. Déjà Malebranche, frappé de certaines analogies entre la mémoire et l’habitude et du concours que l’une apporte à l’autre, avait préparé la voie à cette nouvelle doctrine. « Il y a, dit-il, beaucoup d’analogie entre la mémoire et les habitudes et, en un certain sens, la mémoire peut passer pour une habitude[1]. » On voit cependant que si la mémoire, selon Malebranche, peut passer pour une habitude, ce n’est pas sans quelques restrictions et quelques réserves ; c’est une habitude, dit-il, mais seulement en un certain sens. Il faut bien, en effet, si c’est une habitude, qu’elle soit une habitude d’une espèce toute particulière et qui ne ressemble que bien peu à ce qu’on est convenu d’appeler habitude.

Les Études élémentaires de philosophie de Cardaillac, qui ne méritent pas l’oubli où elles sont tombées, contiennent sur les idées latentes des remarques et des analyses d’un grand intérêt, mais l’auteur leur substitue l’habitude dans sa théorie de la mémoire. « Le principe constitutif de la mémoire et du souvenir est, dit-il, un mode nouveau d’existence, une nouvelle manière d’être, une disposition, une habitude enfin produite et fixée dans l’âme et dans le cerveau par des modifications plus ou moins répétées[2]. »

D’une manière encore plus explicite, la mémoire, selon M. Gratacap, est une habitude. Voici, en effet, la conclusion de son ouvrage

  1. Recherche de la vérité, livre II, 2me partie, chap.  v.
  2. Vol. II, section A, chap.  iii.