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F. BOUILLIERce que deviennent les idées

affectent encore agréablement ou désagréablement après qu’elles ont disparu.

Le raisonnement vient en aide à l’observation ; les preuves directes s’ajoutent aux preuves indirectes en faveur des idées latentes, si on analyse les éléments dont se composent nos sensations et nos perceptions distinctes. Loin d’être simples, en effet, comme il peut sembler à une observation superficielle, elles sont composées d’une foule de petits éléments. « Comme le bruit de la mer, dit Leibniz, se compose du bruit de chaque vague en particulier, de même les grands appétits, les perceptions distinguées, les fortes et dominantes impressions dont nous nous apercevons sont le plus souvent composées d’une infinité de petites perceptions dont on ne saurait s’apercevoir, et c’est dans les perceptions insensibles que se trouve la raison de ce qui se passe en nous, comme la raison de ce qui se passe dans les corps sensibles consiste dans les mouvements insensibles. » Au lieu des vagues de la mer, Hamilton prend pour exemple les feuilles des arbres d’une forêt. Nous n’apercevons à distance qu’une vaste étendue verte, mais cette étendue se compose de la verdure de chaque feuille, quoique nous n’en distinguions aucune en particulier. Le même philosophe fait la remarque qu’il y a un minimum d’impression audible ou visible au-dessous duquel nous n’entendons rien et nous ne voyons rien. Divisez en deux ce minimum de son ou de lumière ; ces deux parties ne seront ni vues ni entendues, et cependant, chacune en particulier, elles ne sont pas absolument imperceptibles, car la réunion de deux zéros ne pourrait faire qu’un zéro. M. Taine se sert de l’expérience acoustique de la roue de Savart pour prouver l’existence de ces éléments infinitésimaux qui constituent la sensation.

On voit donc que non seulement il y a des idées latentes, mais que l’induction et l’analyse nous conduisent à croire qu’elles sont en nombre indéfini. Depuis l’infime degré de la perception, l’infimus perceptionis gradus, comme dit Leibniz, jusqu’à la pleine lumière, par combien de degrés une idée ne peut-elle pas passer, et combien demeurent à ce minimum au-dessous duquel, sans cesser d’avoir une certaine réalité, elles cessent d’être perceptibles ! Voilà donc vérifiée, à ce qu’il nous semble, l’existence de ces idées latentes hors desquelles, suivant nous, est impossible toute explication de la mémoire, de l’évocation et de la reconnaissance des idées.

Achevons de montrer que là seulement est la vraie solution en faisant ressortir l’impuissance de celle que quelques-uns lui opposent aujourd’hui et qui semble prendre faveur, comme nous l’avons