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guées jouent, on le sait, un grand rôle dans la psychologie de Leibniz, sous les noms divers de petits plaisirs, petites douleurs, petites déterminations, petites perceptions ou perceptions faibles et confuses. Il les appelle aussi perceptions insensibles ou même imperceptibles ; mais il ne l’entend pas en un sens absolu, c’est-à-dire comme étant en dehors de la conscience et de la pensée. Il veut dire seulement qu’elles sont infiniment peu sensibles ou perceptibles[1].

Pour éviter les équivoques, c’est sous le nom général d’idées latentes que nous comprendrons ces représentations qu’un voile nous cache, mais non pas absolument impénétrable, qu’une ombre enveloppe, mais non pas tellement épaisse qu’elle ne puisse laisser passer quelque faible lumière.

Bon nombre de psychologues, depuis Leibniz, ont reconnu et constaté l’existence de ces idées insensibles ou latentes. Par une foule d’observations et d’analyses, par des preuves directes ou indirectes, ils nous semblent avoir mis hors de doute la réalité de ces idées latentes où, suivant nous, se trouve la solution du problème du retour des idées et de la mémoire. Non seulement les idées latentes existent, mais elles occupent une place considérable dans notre vie intellectuelle et morale. Au cours ordinaire de la pensée, elles nous échappent tout à fait ; notre attention est dirigée ailleurs ; d’autres idées les remplacent et les ont rejetées dans l’ombre et à l’arrière-plan. De là une sorte de déchet, un effacement qu’on peut supposer aussi grand qu’on voudra, sans cependant qu’il descende jusqu’à zéro. Autant il y a de degrés entre la lumière du soleil et les ténèbres absolues, autant y en a-t-il dans cet obscurcissement des idées, passées pour ainsi dire à l’arrière-plan, par la série d’idées nouvelles qui occupent la scène tout entière. Combien vaste est le champ de ces représentations obscures et que de choses il y a dans l’âme dont nous ne nous apercevons pas, bien que nous puissions parfois cependant les entrevoir ! « L’observation directe, dit Rémusat, pourrait prouver que la conscience, comme élément de tout acte mental, est une qualité intensive très variable qui peut tomber au-dessous de toute valeur appréciable et par conséquent être comme s’il n’était pas. C’est une loi du monde de l’expérience externe que les faits qui s’y passent peuvent, sans périr absolument, s’atténuer à tel point que pour nous la valeur en soit comme nulle. Tout minimum est sensiblement égal à zéro. Ne pourrait-il en être de même dans le monde de l’expérience interne ? [2] »

  1. La conscience, consciousness ou consciosité, accompagne, dit-il, toujours la pensée. Ibid., 27.
  2. Article sur Hamilton, Revue des Deux-Mondes, 1er mars 1860.