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ment elle s’évanouit. Il va jusqu’à dire que, s’il est des idées perdues pour cette vie, peut-être sont-elles destinées à réapparaître dans une autre existence, conséquence qui ne nous paraît pas nécessaire. De ce qu’aucune idée ne périt, il n’y a pas à conclure que toutes doivent renaître dans une autre existence, sinon dans celle-ci. Quelques-unes peuvent rester dans un éternel oubli, faute d’une occasion propice, ou parce que la mort est trop tôt survenue. Comme Hamilton, M. de Rėmusat croit que nulle idée ne périt, mais non pas cependant que toutes doivent nécessairement reparaître dans cette vie ou dans une autre. « Il y a, dit-il dans son beau et curieux mémoire sur l’existence des facultés inconnues, des souvenirs qui dorment pour ainsi dire, qu’un mot, qu’un son réveillerait, mais ce mot ne sera pas dit, ce son ne sera pas entendu, et nous mourrons sans avoir pensé une seule fois peut-être à ce dont la pensée attend en nous le signal qui la réveille. Peut-être même en est-il ainsi de tout ce que nous avons oublié et ne s’est-il rien passé dans le cours de notre existence que des circonstances favorables ne pourraient retracer à la fantaisie. »

Ces idées innombrables qui dorment, suivant l’expression de M. Rėmusat, mais ne sont pas anéanties, voilà le fonds, plus ou moins riche, où sans cesse puise et s’alimente la mémoire de chaque individu. Toutes sans doute ne reviendront pas à la lumière, mais toutes sont susceptibles d’y revenir, un jour ou l’autre, la nuit même au sein d’un rêve, de la façon même la plus inattendue, la plus extraordinaire, comme il arrive quelquefois dans certains cas morbides, dans le fièvre et le délire. Ce qui nous parait certain, c’est que nulle idée ne reviendrait de près ou de loin, n’importe en quelle circonstance ou par quel choc, si elle avait réellement cessé d’exister. Quant à l’annihilation, comme dit un psychologue et physiologiste anglais renommé, Forbes Winslow, elle n’existe que dans la fantaisie ; c’est une illusion de l’imagination, un rêve de poète[1].

Faut-il s’arrêter à la difficulté de concevoir cette multitude d’idées logées dans l’entendement ? L’objection, à ce qu’il semble, ne saurait venir de ceux qui n’hésitent pas à admettre des traces ou résidus, en nombre non moins grand, dans le cerveau. Ces résidus, quelque ténus qu’ils soient, étant matériels, doivent tenir quelque place, tandis que les idées n’en tiennent pas. Nous n’éprouvons donc aucun embarras à les mettre toutes ensemble dans l’esprit, malgré sa simplicité et malgré leur nombre innombrable. Nous dirons ici encore

  1. Cité par Th. Ribot, Hérédité, chap.  II.