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rentre en scène, était caché dans la coulisse, mais n’avait pas, dans l’intervalle, cessé d’exister, quoique invisible aux spectateurs.

Dans un chapitre sur les théories de la mémoire, Reid fait à ce propos deux remarques qui nous semblent décisives. « Ce qui n’est plus ne peut, dit-il, renaître le même ; il peut naître seulement quelque chose qui lui ressemble… Ce qui a deux commencements différents est nécessairement double. » Nous ne pouvons donc admettre que les idées périssent ; pour n’être plus sciemment présentes à la conscience et à la mémoire, elles n’en subsistent pas moins dans l’esprit, leur unique demeure : neque enim est alia regio earum, comme dit saint Augustin.

Il ne suffit pas de conclure qu’elles doivent rester dans l’esprit, même quand nous n’y pensons pas, ou plutôt que nous n’y prenons pas garde ; nous avons à rechercher ce qu’elles deviennent, comment elles y demeurent, ou quel est leur mode de persistance pendant cet état de mort apparente. Qu’on ne nous suppose pas en effet d’admettre qu’elles survivent telles qu’elles étaient d’abord, sans nul effacement, sans nulle dégradation de relief et de couleur.

Il n’est pas de question psychologique sur laquelle les anciens et les modernes, le peuple comme les savants, aient accumulé plus d’images et de métaphores que sur la mémoire et la conservation des idées. Saint Augustin semble s’être plu à les amasser toutes dans ces brillantes pages des Confessions où il décrit avec tant de pénétration, d’esprit, et parfois de subtilité, les merveilles de la mémoire et de l’oubli. Avec quelle abondance de traits ingénieux il fait jouer en quelque sorte sous nos yeux ce double mécanisme de la disparition et de la réapparition des idées, tantôt retirées et cachées dans des retraites plus ou moins secrètes et profondes, cases, cellules ou coulisses, tantôt en sortant à notre appel, ou par quelque cas fortuit, pour reparaître au grand jour sur la scène de la conscience ! À l’imitation de saint Augustin, avec non moins d’esprit et d’éloquence et avec les mêmes images, Fénelon à son tour, dans le Traité de l’existence de Dieu, a célébré en quelque sorte ces étonnantes merveilles de la mémoire.

D’autres métaphores telles que dépôt, réservoir, magasin se sont présentées non moins naturellement à l’esprit de tous ceux qui ont traité de la mémoire ; ajoutons le mot de rétention plus particulièrement adopté par un certain nombre de psychologues. Enfin on dit aussi le trésor de la mémoire. N’est-ce pas en effet comme un trésor où s’entassent nos richesses intellectuelles, c’est-à-dire nos idées ?

Il est à remarquer que, quelque diverses que soient ces images,