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GAROFALO.le délit naturel

niteurs pouvaient avoir, ce n’est pas une raison pour qu’il n’ait pas pu conserver, depuis une période très ancienne, un certain degré d’amour instinctif et de sympathie pour son semblable. Le mot impérieux de devoir semble simplement désigner la conscience intérieure d’un instinct persistant, qu’il soit inné ou acquis partiellement, lui servant de guide, mais auquel, pourtant, il pourrait désobéir[1]. »

Si d’ailleurs la morale n’était que le fruit du raisonnement individuel, les individus les mieux doués quant à l’intelligence seraient absolument les plus honnêtes gens du monde, parce qu’il leur serait plus facile de s’élever à l’idée de l’altruisme, à la conception de la morale absolue, qui, selon les positivistes, consiste dans la plus entière compénétration de l’égoïsme et de l’altruisme. Nous ne dirons pas que c’est le contraire qui arrive, mais certes il ne manque pas d’exemples de gens très intelligents qui en même temps sont tout à fait malhonnêtes ; pendant qu’au contraire on voit très souvent des personnes à l’intelligence très bornée qui, malgré cela, ne se permettent pas la moindre déviation aux règles de la morale la plus sévère. Pourquoi ? Non pas, à coup sûr, parce qu’ils en comprennent l’utilité indirecte, mais parce qu’ils se sentent forcés à respecter de tels préceptes, et cela quand même ils n’y seraient pas obligés par leur religion ou par la loi écrite.

Il nous parait donc impossible de nier l’existence psychologique du sens moral, créé, comme tous les autres sentiments, par l’évolution, et transmis héréditairement. Mais du moment que ce sens moral est une activité psychique, il peut être sujet à des altérations, à des maladies ; on peut le perdre entièrement, on peut en manquer dès la naissance par une monstruosité pareille à toutes les autres de notre organisme, et qu’on peut attribuer, faute de mieux, à l’atavisme. Les gradations sont innombrables « entre la suprême énergie d’une volonté bien organisée et l’absence complète du sens moral[2] ».

Il ne faut donc pas nous étonner si dans une race morale on trouve un nombre plus ou moins grand d’individus d’une immoralité frappante. Ce sont des anomalies tout à fait naturelles, comme nous le verrons dans le suite.

Ce qu’il faut se demander plutôt, c’est dans quelle mesure ce sens moral varie à travers les temps et les espaces ; ce qu’il est maintenant dans notre race européenne, et dans les peuples civilisés appartenant à d’autres races, ce qu’il a été, ce qu’il sera. Nous rechercherons

  1. Darwin, L’origine de l’homme, ch.  iii.
  2. Maudsley, La responsabilité dans les maladies mentales, ch.  i.