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avantages précieux et permettraient de comparer directement le rêve physiologique et le rêve hypnotique.

Deux songes que je fis dans la nuit du 5 au 6 avril furent l’occasion de ces recherches, que j’entrepris seulement à partir du 11, et que je poursuivis pendant deux ou trois jours seulement. L’intervalle fut consacré à l’étude de la contrainte hypnotique, étude dont je ferai connaître plus loin les résultats. Mais je crois devoir rompre, pour cette fois, l’ordre chronologique de mes expériences, pour mieux satisfaire à l’ordre logique.

Voici le premier songe. Nous nourrissions un lion, grand et fort ; il n’était pas en liberté ; il était enchaîné dans le jardin à un panier à vin. Étant venu à se détacher, je courus après lui, l’attrapai et l’enfermai dans une petite bouteille à large goulot. Cette bouteille, que je vois encore, est celle qui me servait jadis dans mes courses d’entomologiste ; elle contenait un fragment d’éponge imbibé de créosote. Le lion ne tarda pas à être asphyxié. Je l’en tirai ; il avait la forme d’un hydrophile ; son corselet et l’une de ses élytres étaient écrasés. Posée sur le dos, la bête se mit à remuer les pattes. Je la montrai à ma femme et à mes enfants tout craintifs, en leur disant : « Le lion n’est pas encore mort. »

J’ai retrouvé facilement presque tous les éléments de ce rêve, souvenirs lointains pour la plupart. Je ne veux en relever qu’un point : l’identification d’un lion et d’un hydrophile.

Cette même nuit — il faut croire que j’étais en veine — je rêvai que mon collègue, M. X….. devait venir me voir. Il est correct et quelque peu solennel. Je trouvai piquant de le mystifier. Il y avait dans le vestibule de la maison un grand portemanteau mobile en fonte. Je me déguisai en pardessus et me suspendis à l’un des crochets. M. X….. arrive et demande après moi. La servante, stylée par moi, lui répond que je suis sorti, mais que je rentrerai bientôt ; elle l’invite à m’attendre. Par discrétion, il veut se retirer. La bonne insiste. Rien n’y fait. Alors je surgis je ne sais d’où — le moi-pardessus restant toujours accroché — et je joignis mes instances à celles de la bonne. « Non, me disait-il, puisque vous n’êtes pas chez vous, je préfère revenir une autre fois. Mais, entrez, je serai de retour dans un instant. — Merci, vraiment ! » Ici s’arrête le rêve.

Dédoublement de personne et changement hyperbolique de personnalité — car il n’y a pas ici simplement un pardessus-homme, mais bien un pardessus-moi[1].

  1. Certains hypnoticiens font grand état des changements de personnalité. Les expériences qui vont suivre montrent que ce sont, pour la plupart, des phénomènes sans portée spéciale.