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DELBŒUF.de la prétendue veille somnambulique

Rappelons tout d’un coup qu’il m’a été impossible d’anéantir la suggestion donnée par M. Masius. J’ai eu, dans la suite, plusieurs fois l’occasion d’en faire la remarque ; les suggestions contradictoires se superposent et ne se détruisent pas : « Prenez ce chapeau… Non ! ne le prenez pas. » Le sujet prend le chapeau, puis le remet à sa place. Il y a peut-être d’intéressantes expériences à faire dans cette direction.

Le 27 mars — je cite les dates, pour que le lecteur qui voudrait s’en donner la peine puisse les rapprocher et apprécier la succession des expériences — je rendis à M….. l’ordre d’embrasser M. A….., qu’elle n’avait pas accompli le dimanche précédent. Réveillée, je lui dis de s’asseoir et de se tenir à ma disposition. Elle le fait de bonne grâce et prête intérêt aux exercices auxquels je soumettais les sujets de Donato A et C. Quand dix heures sonnent, je lui permets de se retirer. Elle se lève allègrement, dit bonsoir à la compagnie, ouvre la porte pour s’en aller ; lorsque, faisant brusquement volte-face, elle se dirige vers M. A….. et l’embrasse sans hésiter. « Que faites-vous là ? » lui dit M. A… À cette parole, M….. devient rouge comme une grenade, cache sa tête dans ses mains, se sauve en toute hâte, et je l’entends qui descend l’escalier en sanglotant. Je m’empresse sur ses pas. Elle était en larmes. Elle ne voulait plus qu’on lui jouât des tours semblables ; qu’allait penser d’elle M. A….. et le reste de la société ? Sa conduite n’était pas celle d’une fille honnête ; elle ne viendrait plus aux expériences. Pour la remettre et chasser ses idées, je dus l’hypnotiser de nouveau, ce qui, par parenthèse, me réussit.

Le lendemain, je l’interrogeai sur ce qu’elle avait éprouvé. Voici ce qu’elle me dit : « Je ne pensais à rien qu’à regarder les petits garçons ; quand vous n’avez dit de partir, j’ai été contente parce que j’étais fatiguée. Mais quand j’ai ouvert la porte, l’idée m’est venue d’embrasser M. A….. Il me sembla que c’était une chose que je devais faire absolument ; et je suis revenue sur mes pas. Seulement lorsque M. A….. me demanda ce que j’avais fait, sa voix me réveilla et je compris toute la singularité de mon action. Mais quand vous êtes-vous endormie ? — Je ne sais pas si je me suis endormie, ni quand mais je sais que je me suis réveillée. »

Les souvenirs de M….. ne présentent donc pas de lacune. Ceci tient à ce qu’elle s’est réveillée pendant l’action et aussi à ce que sa mémoire hypnotique est très exercée, plus même que celle de sa sœur.

Il n’en est généralement pas ainsi. M. Beaunis le constate expressément, dans les passages que j’ai résumés plus haut. Voici un fait que M. Voituron, étudiant en médecine, qui s’occupe depuis longtemps