Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXIII.djvu/130

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
120
revue philosophique

vous êtes réveillée à ce moment ? — Parce que, à ce moment, j’ai senti que je faisais quelque chose d’inusité. »

Peu de jours après, histoire analogue. C’était le lendemain d’un soir où J….. avait beaucoup ri, d’un rire suggéré, en procédant à la toilette de nuit de ma femme[1]. J….. remplissait le même service pendant que je tenais M….. endormie. Il me passa par la tête de mettre celle-ci en conflit avec sa sœur. « M….., lui dis-je, J….. s’est hier conduite d’une manière peu convenable envers Madame ; je crains qu’aujourd’hui elle n’en fasse encore autant. Allez près d’elle lui faire des remontrances, et, la prenant par le bras, engagez-la à avoir une attitude décente. »

Je la réveille ; je cause de choses et d’autres, puis je la congédie : c’est son heure. « Vous êtes bien éveillée ? lui dis-je. — Certainement, » répond-elle en souriant. Elle me faisait, d’ailleurs, l’effet de l’être, mais je prenais quand même, comme on voit, mes précautions. Voilà qu’ayant ouvert ma porte, qui donne sur un palier, au lieu de descendre comme à l’ordinaire, elle entre, sans frapper, dans la chambre de ma femme, qui lui demande ce qu’elle vient faire. « Je cherche J….. » fut sa réponse. J….. venait justement de sortir. M….. va d’appartement en appartement à sa recherche sans la rencontrer, puis rentre dans la chambre. À ce moment j’y pénètre, pour pendre note de ce qui va s’y passer. M….. me dit : « Maintenant, monsieur, je suis réveillée. — Que faisiez-vous ? — Je cherchais J….. pour, etc. Mais je suis réveillée, et je sais que je n’ai pas à lui dire cela : c’est un tour que vous m’avez fait. »

De cette même réponse, faite par deux fois, il me parut ressortir que ce que j’avais pris pour l’état de veille, et qui en avait toutes les apparences, devait être une espèce de sommeil. Quelle espèce de sommeil ? c’était le problème. Il me sembla que l’on pourrait en trouver la solution par une investigation psychologique directe et régressive, en recourant à l’art d’évoquer les souvenirs ou les réflexions des sujets hypnotisés. Je me proposai de diriger plus tard mes études tout spécialement vers cet ordre de phénomènes. En attendant, je m’interdis systématiquement toute expérience avant que je pusse m’en occuper exclusivement. Quand les faits se présentèrent d’eux-mêmes, je me contentai d’en prendre note. Mais je puis dire que dès lors déjà mon opinion était arrêtée : au moment d’exécuter l’ordre suggéré, le sujet se rendormait, comme il se rendort à telle heure, à tel signal, en touchant un objet désigné, en prononçant un chiffre déterminé ou en arrivant à une certaine ligne d’une page qu’on lui donne à lire.

  1. Voir De l’influence, etc., p. 156 et suiv.