Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXIII.djvu/124

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
114
revue philosophique

me suis occupé du sommeil et des rêves ; j’en étais venu à noter, dans mon sommeil même, les rêves dont je pouvais tirer parti[1].

La deuxième étude témoigne encore du désir de simplifier autant que possible les problèmes que soulève le somnambulisme provoqué. Elle vise à séparer, dans les manifestations hypnotiques, les traits essentiels qui les unifient des traits accidentels qui les diversifient, en mettant la production de certains caractères propres aux différentes formes de somnambulisme sur le compte de l’imitation et de l’éducation.

Dans ses ingénieuses études de sociologie, M. G. Tarde regarde cette tendance à l’imitation comme l’un des plus puissants facteurs sociaux[2]. Elle joue certainement un rôle considérable dans le somnambulisme. Et au fond, comment la suggestion par gestes et même par paroles commande-t-elle à l’hypnotisé, si ce n’est pas parce qu’il est, de par son état, imitateur au plus haut point et toujours prêt à réaliser ce qu’on lui montre, ce qu’on lui dit ? Dans le cours de mes expériences ultérieures, je me suis convaincu de plus en plus de la vérité de cette assertion. Je me bornerai à un seul exemple[3].

J’avais hypnotisé assez promptement une jeune et robuste paysanne, voisine de campagne. Insensibilité, paralysie de la parole, amnésie, etc., tout cela avait été obtenu dès la seconde séance. Mais la catalepsie et les contractures ne prenaient pas. J’avais beau lui affirmer qu’elle ne pouvait pas faire jouer son bras, elle le faisait jouer tout de suite. — « Mais vous avez été un peu gênée quand même ? insinuais-je. — Pas du tout ! » répondait-elle d’un air encore plus surpris

  1. Le Sommeil et les Rêves, considérés principalement au point de vue de la théorie de la certitude et de la mémoire. Paris, F. Alcan ; p. 33.
  2. Voir, entre autres, son récent travail sur la Criminalité comparée, si neuf et si fin, si curieux et si attachant. M. Tarde a mille fois raison : les hommes se conduisent comme les moutons de Panurge. Une grève éclate sur un point — on m’excusera de choisir cet exemple, les grèves étant à l’ordre du jour — chaque usine voit à son tour la grève éclater chez elle. On brise ici, on brisera partout. La puissance de l’exemple n’a jamais été mieux démontrée que par les derniers événements dont la Belgique a eu à souffrir. Les économistes et les politiciens parlent alors de courants, d’aspirations, d’esprit de réforme ou de révolution, que sais-je ? Sans doute, la première étincelle a une cause, mais l’incendie a sa cause principale dans cette première étincelle. Et, pour descendre de ces hauteurs, n’arrive-t-il pas fréquemment, dans les écoles et les collèges, qu’un seul élève donne le ton à toute une classe ?
  3. Dans le livre du docteur Bernheim de la Suggestion et de ses Applications à la thérapeutique, Paris, 1886, p. 98) j’en rencontre un autre bien plus probant encore. M. Bernheim cherche à s’assurer, par des expériences faites sur une somnambule, que les phénomènes de transfert sont de nature suggestive. En peu de temps, elle comprit ce qu’on attendait d’elle avec ces aimants qu’on lui promenait tout autour du corps. Or, le lendemain, une autre somnambule, qui avait assisté aux séances de la veille, soumise aux mêmes essais, les fit réussir à merveille, sans qu’on eût besoin de rien lui dire.