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Insisterai-je maintenant sur ce qu’on appelle l’obsession, quand telle phrase, toujours la même, de la parole intérieure, vient, sans notre aveu et même contre notre volonté, troubler le cours de la pensée discursive ? Mais il est aisé de multiplier des remarques de ce genre, et chacun peut facilement en faire.

En voici toutefois une sur laquelle j’insisterai. Je suis un de ceux qui ont l’habitude de suivre une pensée en marchant, et à qui, par suite, il arrive, de temps en temps, de prononcer tout haut des mots dans la rue. Or, j’ai observé que cela m’arrive surtout lorsqu’une distraction se présente, que ma réflexion se détourne ; l’inhibition produite ainsi par des circonstances extérieures sur le développement de la pensée semble correspondre à une exaltation de la parole intérieure, comme si celle-ci voulait rappeler l’attention qui s’écarte. Quel est le véritable mécanisme de cet effet, je ne puis d’ailleurs le soupçonner, mais j’en ai bien constaté les résultats. Les mots que je prononce alors, soit toujours à voix basse, mais plus fort que les précédents, soit véritablement à haute voix, m’échappent d’ailleurs inconsciemment, en ce sens qu’ils ne correspondent plus exactement au fil de mes idées ; ce n’est certainement pas ceux-là qui auraient été prononcés mentalement, si mon intelligence avait continué à veiller ; la bête a fait un écart, s’est engagée sur une autre voie. Il arrive même, si la distraction est assez forte, que j’ignore réellement quels mots j’ai articulés ; je n’en ai conscience que comme son, non plus comme signification.

Je crois que chacun peut faire sur lui-même des observations analogues, et je serais heureux si les quelques remarques que j’ai présentées provoquaient des études plus précises et plus décisives.

Il me semble, en tout cas, possible d’en tirer quelques conclusions relatives aux conditions dans lesquelles devraient être poursuivies les expériences sur la suggestion à distance.

La suggestion mentale sur le sujet présent ne réussit guère qu’avec des sujets particuliers et surtout lorsqu’ils ont été dressés à cet effet. L’explication la plus naturelle qu’on en puisse donner est que le sujet hypnotisé perçoit la parole intérieure de l’expérimentateur, alors que celui-là même peut ne pas la percevoir. Il serait évidemment important d’instituer des expériences suivies pour déterminer si cette explication est plausible ou non.

Je remarque seulement qu’elle ne présente aucune impossibilité ; d’une part, l’hyperesthésie du sens de l’ouïe chez les hypnotisés est bien constatée ; on comprend, d’ailleurs, que cette curieuse faculté peut s’exagérer, chez les individus suffisamment doués à cet égard, par une éducation appropriée. Enfin, il est bien certain que, plus la pensée est fortement tendue, moins on est capable de réflexion attentive et d’observation introspective, moins on peut discerner sa propre parole intérieure, quoique l’intensité de celle-ci puisse devenir très notable.

Un procédé simple d’expérimentation qui pourrait être suivi, consisterait à boucher les oreilles des sujets avec du coton, par exemple. On