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notes et discussions

de M. Delbœuf, mais qui n’en sera pas moins absolument conditionné dans toutes ses circonstances.

Mais j’en reviens à mes remarques citées par M. Fouillée.

L’éminent philosophe a deviné que j’étais porté à nous attribuer le pouvoir de disposer du temps ; c’est une divination de sa part, j’insiste sur ce point, car je ne crois avoir rien dit de semblable.

Je n’ai aucune raison, à la vérité, de répondre qu’il n’a pas deviné juste ; je suis du moins porté à admettre la possibilité de forces fonctions du temps et pouvant représenter mathématiquement l’hypothèse du libre arbitre. Mais j’avais en tout cas fait tous mes efforts pour réserver mon opinion sur le fond de la question, précisément parce que, d’une part, je pense, avec M. Fouillée, qu’elle est purement psychologique et morale ; parce que, d’un autre côté, je pense encore comme lui, que l’hypothèse du libre arbitre ne doit pas être posée sans s’attaquer directement au principe de causalité, ce qui mérite de n’être point essayé à la légère.

Il me sera cependant permis de dire dès aujourd’hui que peut-être la chose est moins difficile qu’il ne paraît se le figurer, et que c’est en tout cas sur ce terrain que doit se compléter la conciliation entre les partisans du libre arbitre et ceux du déterminisme, conciliation qu’il a tentée et, à mon avis du moins, très avancée dans un ouvrage bien connu de nos lecteurs.

M. Fouillée à parfaitement fait voir, au début de sa récente étude, que la façon dont on entend actuellement le principe de causalité tranche logiquement la question en faveur du déterminisme. Mais il reste à savoir si cette façon d’entendre ce principe est la seule possible ; autant que je sache, ce n’est guère que depuis Kant qu’elle a triomphé, et il me parait certain qu’Aristote comprenait tout autrement le concept de causalité.

Ce point de métaphysique réservé, je crois, en ce qui concerne le côté psychologique de la question, être en parfaite concordance de vues avec M. Fouillée, et la façon dont il entend le libre arbitre me suffit pleinement. Le seul point que je tienne à affirmer, comme croyance au moins aussi légitime que l’hypothèse contraire, c’est que l’avenir ne peut être susceptible d’être prévu dans tous ses détails au même titre que le fonctionnement d’un pur mécanisme. Que M. Fouillée le concède, cela ne peut faire de doute, il me semble, soit que l’on envisage son concept de la liberté, soit que l’on considère cette remarque qu’il fait (p. 613, note) :

« Peut-être y a-t-il plusieurs combinaisons possibles dont le monde actuel est le résultat possible. »

Qui admet pour le passé, avec autant de réserves que l’on voudra, une hypothèse d’apparence aussi hardie, mais au fond aussi juste, ne peut manquer d’en admettre la contre-partie pour l’avenir

P. Tannery.