on peut faire assurément que le métier de malfaiteur cesse d’être obligatoire à jamais pour ceux qui l’ont exercé une fois. Cette bonne volonté ne saurait manquer. Dans le cas contraire, tant pis. Un peuple où la force du sacrifice personnel s’épuise vit sur son capital, et sa décadence est proche. On reste généreux jusqu’au jour où l’on cesse d’être inventif et fécond, où l’on devient imitatif et routinier. L’égoïsme est une acquisition sénile.
Si l’on dit que cela ne suffit pas, j’avouerai que, cela fait, il manquera quelque chose encore. Mais quoi ? Une chose malheureusement plus difficile que la nomination d’une commission pour la réforme du code pénal : à savoir, si je me trompe, la fermeté et la stabilité gouvernementales, et l’apaisement spontané ou l’endiguement du courant révolutionnaire.
La civilisation et la révolution sociale font deux, et j’estime que M. Poletti les confond quand il juge le progrès de la première lié au progrès de la criminalité : autant vaudrait dire au progrès du paupérisme, erreur analogue et cent fois réputée. Se persuader que la civilisation peut favoriser en rien la criminalité, c’est oublier que la guerre et le pillage, l’assassinat et le vol, ont été à l’origine ce qu’il y a eu de plus naturel à l’homme, et que la gloire de la civilisation est précisément d’avoir refoulé ces instincts. Si la civilisation n’était que la propagation imitative des moyens (mécaniques, chimiques ou autres) les plus propres à servir les buts quelconques de la volonté, héroïques ou criminels, pacifiques ou belliqueux, on serait autorisé à dire simplement que son action est nulle sur la moralité. Mais n’est-elle pas aussi la propagation imitative des buts (religieux, juridiques, esthétiques), les plus féconds, les plus vastes, les plus cohérents, c’est-à-dire les plus éloignés de la stérilité, de la pauvreté, de la mutuelle contradiction des buts qualifiés mauvais ? Elle ne saurait donc être que moralisatrice, aussi bien que pacifiante.
Mais la révolution, en ce qu’elle a d’étranger à la civilisation, c’est la guerre de classe à classe. Et, quoiqu’il puisse y avoir un art militaire bon à exercer parfois, pareillement une politique révolutionnaire utile un temps, la guerre, intestine ou extérieure, n’est pas moins la grande ennemie de la civilisation. Elle la sert sans doute quand, par l’emploi, par le rayonnement imitatif, qualifié campagne ou émeute, de procédés et d’habiletés militaires, de mesures et de violences révolutionnaires, elle ouvre aux inventions et aux utilités tout autrement durables qui constituent la civilisation un nouveau champ d’imitation plus libre et plus ample, représenté par une classe ou un peuple mieux doués. Mais ce résultat n’est pas toujours atteint ; et même, quand il l’est, c’est au prix d’un mal long à guérir, je veux