Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/690

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
680
revue philosophique

tiques : Turgot prudent, Condorcet violent. Ils sont unis par les mêmes opinions sur la liberté du commerce, de l’industrie et de l’agriculture Les maîtrises, les jurandes, les corvées les indignent également. Ils flétrissent la traite des noirs, et Condorcet est un des promoteurs d’une société, pour l’abolition de ce commerce. Ils admettent l’un et l’autre les droits des hommes à la liberté de penser et d’écrire, à la liberté religieuse, à l’égalité civile et politique. Ils veulent l’abolition du privilège ; mais ils méconnaissent tous deux l’importance de la tradition, la force de l’hérédité. Turgot fut toute sa vie un monarchiste pur. Condorcet, dans sa Vie de Turgot, préconise le gouvernement d’une seule chambre avec une constitution renfermant en elle-même le moyen légal d’améliorations successives.

Science, littérature, philosophie, politique, administration, cette correspondance embrasse presque tout. Turgot demande souvent des renseignements mathématiques à son ami. Il lui propose même des problèmes intéressants. Il lui expose ses théories chimiques. Condorcet lui soumet ses éloges académiques. Toutes les réceptions académiques, presque toutes les premières représentations, tous les livres un peu marquants ont un écho en ces lettres ; elles sont riches de détails quelquefois piquants sur la duchesse d’Anville, l’amie des économistes, mademoiselleMe Lespinasse, madame Suard, La Harpe, d’Alembert. Voltaire, Trudaine, etc.

Mais où cette correspondance devient d’un intérêt de premier ordre pour l’histoire, c’est lors de la nomination de Turgot au ministère de la marine le 20 juillet, et surtout après le 24 août 1774, lorsqu’il fut appelé à remplacer l’abbé Terray au Contrôle général. Les principaux actes du ministère de Turgot, tous ses projets, tous ses rêves, tous ses déboires y apparaissent. Cette correspondance est comme une preuve de la fatalité de la Révolution française, de l’incapacité de l’ancienne monarchie. Si, choisir Turgot, c’était entrer dans la voie des réformes, rappeler les Parlements, c’était leur fermer la porte. On voit tous les monopoleurs, tous les privilégiés se coaliser avec le Parlement. Turgot tombe, et son œuvre s’évanouit peu après lui.

Ces divers points de vue sont bien mis en lumière dans l’introduction. Les notes pourraient être plus nombreuses. Le volume est suivi d’un index, très complet, avec un portrait de Condorcet et un fac-similé de son écriture[1].

X.
  1. Notons en passant quelques fautes d’impression : p. 5, au lieu de Melaine, lire Mélanie ; p. 7, au lieu de paierie, lire pairie ; pg|48}}{{, au lieu de Amenaude, lire Aménaide ; au lieu de Mlle Luzzia débute, lire Mlle Luzzi a débuté ; p. 73, au lieu de tanta mortale, lire tacita mortales ; au lieu de cause, lire clause ; p. 324, au lieu de CV, lire CXV.